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peut-être un grand avenir perdu ; en tout cas c’est un dommage pour le gouvernement, qui a donné gratuitement une instruction inutile. D’éminens professeurs ont perdu un, deux, souvent même trois ans d’enseignemens solides pour enrichir un cafetier !

Suivons l’élève du Conservatoire dans cette carrière qu’il s’est choisie. S’il a du talent, il aura du succès ; au bout de deux ans, il s’est formé au métier, car une scène de café-concert n’en est pas moins une scène. Que fait-il en ce cas ? Ou il entre dans un théâtre d’opérettes, ou il s’engage sur une scène étrangère, parce qu’ici et là il est encore attiré par l’appât du gain. Nouveau et constant dommage pour le gouvernement, qui a naturellement un autre but en payant des professeurs, en perdant un loyer considérable et en supportant des frais de tout genre pour l’établissement d’un Conservatoire qui ne profite qu’aux autres.

Afin d’empêcher ce dommage, on fait signer à chaque élève avant son admission une sorte de traité d’après lequel il s’engage à rester à la disposition des théâtres subventionnés. Si ceux-ci ont besoin de lui, il sera tenu d’y entrer. Par malheur, le directeur du Conservatoire et le directeur des beaux-arts ont toujours eu la faiblesse d’empêcher qu’on tourmentât ceux qui manquent ainsi à leur signature. Serait-ce donc une atteinte à la liberté individuelle ? Il ne saurait être question d’atteinte à la liberté individuelle là où il n’y a en somme qu’un échange librement consenti. Que penserait-on de l’École normale si elle permettait à ses élèves d’aller professer en pays étrangers, ou même si les institutions libres venaient y recruter leur personnel enseignant ? Quand leurs hautes études sont terminées, les élèves de l’École normale doivent à l’état un certain nombre d’années de service en échange des diplômes de licencié ou d’agrégé qu’ils ont reçus. S’ils veulent s’y soustraire, ils sont tenus de verser au trésor 3,000 francs d’indemnité pour les trois années où ils ont été instruits, nourris, logés gratuitement. Ne pourrait-on faire de même au Conservatoire, qui est, lui aussi, une institution gratuite ?

Le café-concert ne nuit-il qu’au développement de l’art du comédien ? Voyons plus haut. Les jeunes gens qui se destinent à la carrière d’auteurs dramatiques ont là encore un débouché si facile qu’ils prennent l’habitude de ne plus travailler que pour ces établissemens où la production, surtout de qualité inférieure, est d’un rapport certain. Mazarin disait qu’en France tout finissait par des chansons : on peut ajouter qu’en art tout décroît par des chansonnettes ! On retrouve la chansonnette partout. Autrefois un prix de Rome essayait de forcer les portes d’un grand théâtre de musique ; aujourd’hui il s’épargne cette peine inutile. Est-ce que