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saint Eloi et celle de Sainte Bathilde. Au temps d’Ebroïn, nous rencontrons encore des percepteurs de l’impôt public. Un diplôme de 716 montre le roi Chilpéric II faisant don à une église de cent pièces d’or à prendre chaque année sur le produit des impôts dans le pays du Mans. Enfin saint Boniface, au VIIIe siècle, disait encore dans ses prédications qu’il faut obéir aux rois et leur payer les impôts qu’ils exigent.

Mais il faut faire une distinction entre l’état légal et l’état réel. Légalement, les impôts subsistaient ; quant au recouvrement effectif, il est clair qu’il dépendait de la force matérielle dont disposait le gouvernement royal, et qu’il varia suivant les temps. La résistance des populations à l’impôt est visible durant deux siècles. Elle prend d’abord la forme d’humbles doléances. Nous voyons les villes, les provinces, les églises, se plaindre d’être écrasées par les contributions, comme on s’était plaint sous l’empire. Tous demandent, comme autrefois, des dégrèvemens. Les évêques surtout se chargent de porter ces réclamations au pied du trône, car leur double qualité de pontifes et de chefs des cités leur donne accès près des rois. Peu à peu leur langage devient hardi et amer. On connaît cette réponse que fit l’évêque Injuriosus à Clotaire Ier : « Je ne souscrirai pas à cet impôt, parce qu’il n’est pas juste que tu remplisses tes greniers de la récolte des pauvres, toi qui devrais plutôt les nourrir de tes propres greniers. » Voilà comment on parlait des contributions publiques, et la suite du récit de Grégoire de Tours montre que de tels argumens, plus déclamatoires que sérieux, avaient alors une grande valeur. Clotaire dut céder ; il renonça à imposer la cité dont l’évêque lui avait tenu ce langage. Il reconnut qu’en fait il était presque impossible de percevoir les impôts sans l’assentiment des prélats. Plusieurs traits semblables à celui-ci laissent voir que, les contributions publiques se présentaient à l’esprit des hommes comme une institution contraire à la justice et au droit. Les fois eux-mêmes, s’il faut en croire un singulier récit de Grégoire de Tours[1], n’étaient pas éloignés de penser que l’impôt était réprouvé de Dieu et qu’il provoquait la colère des saints. Aussi les révoltes étaient-elles plus fréquentes qu’elles n’avaient été sous l’empire. On peut même remarquer qu’elles éclataient aussi bien dans les provinces où la population était restée gallo-romaine que dans les provinces peuplées de Germains. On compte autant d’insurrections de Francs que d’insurrections de Gaulois, les deux races paraissant tout à fait d’accord pour résister à l’impôt. La perception en était devenue si difficile que, lorsque les ennemis d’un ministre voulaient le perdre à coup sûr, il suffisait de

  1. Grégoire de Tours, V, 35 ; cf. IX, 30.