aux dépouilles de la Turquie, que, si on lui offrait la Syrie ou autre chose, elle refuserait ces dangereux présens, mais qu’elle attachait une extrême importance au maintien du statu quo territorial dans le bassin de la Méditerranée, et qu’elle serait heureuse de savoir ce qu’en pensait l’Angleterre. La réponse du cabinet anglais a été parfaitement correcte ; les assurances les plus satisfaisantes ont été données non-seulement par lord Derby, mais par lord Beaconsfield lui-même. Le cabinet tory ne se méprend point sur les véritables intérêts de l’Angleterre ; les encouragemens de certains diplomates étrangers qui lui disaient avec instance : « Prenez l’Égypte ! » lui ont paru suspects. Il n’ignore point que, s’il avait le malheur d’y prêter l’oreille, l’exemple qu’il donnerait mettrait à l’aise de dévorantes ambitions, et que les diplomates qui l’engagent à secouer ses scrupules se promettent le double avantage de le brouiller avec la France et de se procurer à eux-mêmes une justification pour toutes les conquêtes qu’ils peuvent rêver. Si l’annexion de l’Égypte servait d’excuse ou de prétexte à l’annexion de la Hollande, l’Angleterre serait-elle contente ? aurait-elle lieu de se féliciter d’un tel marché ?
Dans ce temps d’appétits effrénés, de convoitises intempérantes, une politique parfaitement honnête, soutenue avec résolution et fermeté par le gouvernement anglais, aurait non-seulement un immense succès de nouveauté, elle opérerait des miracles. Elle donnerait à réfléchir aux convoitises intempérantes, elle réveillerait ceux qui dorment, elle rendrait courage à ceux qui craignent, elle ranimerait leur langueur, elle rallierait partout des adhésions. Elle finirait même par avoir raison de l’opinion anglaise ; les bulgaromanes, les sectaires, les philosophes baisseraient pavillon devant elle, et l’on peut croire que le brave bourgeois qui prend l’omnibus et qui adore le succès acclamera lord Beaconsfield, quand lord Beaconsfield lui aura prouvé par ses actes que l’honnêteté courageuse est souvent la plus habile des politiques. En vérité, s’il n’y avait plus en Europe que des peuples conquérans occupés à prendre et des peuples industrieux occupés à les laisser faire, des empires militaires toujours inquiétans pour leurs voisins parce qu’ils n’ôtent jamais leurs bottes et des états libres trop amoureux de leurs repos pour jamais quitter leurs pantoufles, ce monde serait un triste monde et l’Europe un lieu inhabitable. Il dépend du cabinet tory d’épargner à l’Europe les horreurs d’une guerre générale. Les audacieux seront plus timides, les faibles seront plus vaillans le jour où ils auront acquis la certitude que la Grande-Bretagne est toujours la Grande-Bretagne, qu’elle ne se retranche pas dans son égoïsme insulaire, qu’elle a cure des affaires du continent, que ses hommes d’état parlent haut et qu’ils ne parlent jamais en vain.
G. VALBERT.