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à meilleur compte vers les mêmes places intérieures que du port du Havre, et qu’il faille payer par exemple 44 francs la tonne du Havre à Benfeld (Alsace), tandis que d’Anvers à la même ville le fret n’est que de 26 fr. 60 cent. Ce n’est pas que la distance soit moindre, c’est que le fret par tonne et par kilomètre est bien moins élevé en partant d’Anvers que du Havre. D’après un négociant de cette place, M. Jules Siegfried, qui a fait de cette question délicate une étude des plus approfondies, il est constaté que pour les cotons bruts, les laines, les bois de teinture, les cuirs, les soieries, les cotonnades, les cafés, les fromages, les blés, la différence du tarif kilométrique en faveur d’Anvers varie de 9 1/2 à 33 pour 100.

Pourquoi les tarifs des chemins de fer français resteraient-ils ainsi toujours plus élevés que ceux des chemins de fer étrangers ? Il ne s’agit pas seulement, en cette matière, de distribuer de gros dividendes. En Angleterre, les actionnaires des voies ferrées reçoivent un intérêt moindre de leurs capitaux que les actionnaires français, mais le public est mieux traité des compagnies, et M. Ch. de Franqueville, qui a fait un examen détaillé des travaux publics de la Grande-Bretagne, a été forcé de reconnaître que le service de l’exploitation des chemins de fer y était plus satisfaisant qu’en France. Si les compagnies jouissent chez nous d’un monopole pour ainsi dire sans limite, qui leur a été concédé à une époque où l’état ne pouvait prévoir encore le développement futur des chemins de fer et le rôle prépondérant qu’ils joueraient dans l’économie du pays, il faut que les compagnies n’abusent pas de ce monopole, et dans la pratique de leur droit ne méritent pas qu’on leur applique l’axiome juridique, que l’exercice absolu du droit est une souveraine injustice. A côté du droit strict, il y a le devoir. Le devoir, c’est ici de songer un peu plus au bien public, à la prospérité nationale, laquelle est si intimement liée à la sage exploitation des chemins de fer, ce que les compagnies ne devraient jamais oublier. Le commerce tout entier de la France réside dans une question de transports intérieurs. C’est parce que cette question est mal comprise, mal résolue, que la plupart de nos ports ne se développent pas comme ils le devraient et que les ports étrangers leur font une si terrible concurrence, au grand détriment de nos classes travailleuses et du bien-être général.

Revenant à ce qui concerne plus particulièrement le port du Havre, il nous faut reconnaître que d’autres réformes y sont urgentes, notamment au point de vue administratif. Le Havre est resté une sous-préfecture. L’expédition des affaires publiques en souffre considérablement, surtout si l’on réfléchit que Rouen, le chef-lieu, la préfecture du département de la Seine-Inférieure, s’est révélé depuis quelques années comme le concurrent inquiet et méfiant du