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en France n’est guère dirigée vers les affaires. Alors que, dans des pays étrangers comme l’Angleterre, l’Allemagne, les États-Unis, la Suisse, l’Italie, le commerce est tenu en grand honneur, en France on semble avoir pour lui une sorte de dédain inné. Cela date de loin, et les gentilshommes de la cour de Charles IX ou ceux de la cour de Louis XIII reprochaient déjà avec arrogance à Catherine ou à Marie de Médicis, dont les parens occupaient cependant non sans éclat un trône grand-ducal, de n’être issues que d’une famille de mercadans. Cette manière de voir n’a pas changé, et, malgré les conquêtes sociales de 1789, malgré l’esprit démocratique et égalitaire qui partout nous envahit, le commerce chez nous ne semble pas faire encore partie des professions que l’on est convenu d’appeler libérales. Dans quelques lycées existent des cours spéciaux d’enseignement secondaire où l’on apprend la comptabilité, le système métrique, la tenue des livres, la correspondance commerciale, la géométrie, la physique et la chimie usuelles, la géographie appliquée, la cosmographie, l’histoire naturelle pratique, les usages du commerce et de la banque, les langues étrangères. Ces cours sont appelés ironiquement par les latinistes le refugium pigrorum, et de fait ce n’est pas la fine fleur des lycéens qui les suit. Il semble, non-seulement à ceux qui font ce qu’on appelle leurs humanités, mais encore aux parens, aux professeurs, que le latin et le grec pareront à tout dans la vie à venir, et qu’une certaine connaissance des choses matérielles de ce monde est tout à fait inutile. Sans doute, depuis trente ans, les idées ont un peu changé : on s’est mis à étudier avec plus d’ardeur la géographie, les langues vivantes, les sciences appliquées ; on a fait une part moins grande aux langues mortes. Les découvertes surprenantes des sciences physiques ont éveillé la curiosité de chacun ; des écoles de commerce, des écoles techniques se sont partout fondées ; puis les hommes de finance, les grands entrepreneurs et industriels ont conquis dans notre société une place de plus en plus prépondérante à la suite de l’immense fortune que la plupart ont su réaliser. Quoi qu’il en soit, l’esprit d’exclusion pour la carrière commerciale persiste encore en partie dans l’éducation universitaire, et les parens eux-mêmes y prêtent la main. Écoutez-les : après le baccalauréat, ce couronnement des études de latin et de grec, ils enverront leurs enfans à l’École de droit ou de médecine, quand ceux-ci n’entreront pas à l’École normale ou polytechnique, ou à d’autres écoles savantes. C’est là le rêve caressé par la mère et le père ; bien peu pensent à une école supérieure de commerce. En France, il entre dans ces établissemens presque autant d’étrangers que de nationaux, et les familles laissent à ceux qu’elles appellent dédaigneusement les petites gens (qui voudrait en être ?) le soin d’envoyer leurs fils à ces sortes d’écoles professionnelles.