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branches de l’église la richesse des mosaïques, la hardiesse des voûtes, l’élégance des colonnes. Pour exciter encore leur dévotion, on leur montrait à l’une des fenêtres les plus élevées de la cour octogonale une étoile miraculeuse, dont la clarté ne pâlissait jamais et qui semblait avoir été placée là par le ciel pour honorer la mémoire du saint solitaire. Surtout ils ne pouvaient se lasser de regarder la vénérable colonne « où, selon l’expression d’Évagrius, l’ange incarné passa sur la terre sa vie céleste. » Comme elle formait, par une combinaison heureuse, le centre même de l’église, tous les regards se dirigeaient vers elle de tous les côtés de l’édifice.

Ce concours de pieux visiteurs dura jusqu’à la fin du VIe siècle. A ce moment tout semble s’être arrêté d’un coup. Ce pays avait été jusque-là prospère ; les beaux monumens retrouvés par M. de Vogüé le prouvent. Malgré les malheurs de l’empire, les habitans paraissaient heureux de leur sort ; l’un d’eux avait transcrit, au-dessus de sa porte, le passage suivant d’un psaume de David : « Seigneur, vous avez donné la joie à mon âme ; des fruits du blé, de la vigne, de l’olivier, nous avons été comblés en paix. » A partir du VIIe siècle, la Syrie centrale disparaît de l’histoire ; la civilisation et la vie l’abandonnent à la fois. Ce brusque changement ne peut s’expliquer que par l’invasion musulmane ; c’est en 637 que les Arabes sont définitivement maîtres de la contrée ; dès lors on cesse d’y élever des couvens et des églises. Quelques maisons y sont encore bâties ou réparées dans les premières années, et sur l’une d’elles le propriétaire, qui espérait sans doute que la domination des infidèles ne serait qu’un court interrègne, qui n’osait plus se dire sujet de l’empereur grec et ne voulait pas reconnaître l’autorité du khalife, écrit ces mots : « Le Seigneur Jésus étant roi. » Mais bientôt on ne prend plus même la peine de bâtir des maisons nouvelles, car les habitans manquent pour les anciennes, et en quelques années le pays entier redevient inculte et désert. Tels furent, pour la Syrie centrale, les résultats de la conquête musulmane.

L’islamisme a trouvé de nos jours d’ardens apologistes ; les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié qu’un auteur anglais, dont M. Réville les a entretenus, a déclaré qu’on l’avait trop sévèrement jugé et qu’il a rendu de grands services au monde. C’est une opinion qui ne me semble pas aisée à soutenir quand on songe à ce qu’il a fait des pays où il est le maître. Que de contrées riches, heureuses, que Rome avait conquises à la civilisation et que l’islamisme a replongées dans la barbarie ! Il a trouvé l’Afrique pleine d’une population intelligente, éclairée, qui aimait les arts, qui cultivait les lettres, qui fournissait Rome, depuis trois siècles, de poètes et d’orateurs. C’était le pays de Fronton, d’Apulée, de Tertullien, de Lactance, de saint Augustin. La culture romaine y était