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chimères, il faut le reconnaître, ne hantent plus guère les ouvriers français : c’est ainsi que le congrès ouvrier réuni à Paris en octobre 1875 a répudié le principe « chacun selon ses forces, chacun selon ses besoins, » on y a beaucoup médit des sociétés coopératives de production, vu la difficulté de trouver des gérans capables ; on a été même jusqu’à dire que les avances faites par l’état sont la perte des sociétés ouvrières ; enfin on a admis le paiement d’un intérêt et même d’un dividende au capital, reconnaissant d’une part l’efficacité du ressort de l’intérêt individuel, et repoussant d’autre part la chimère du crédit gratuit.

Ces vérités, proclamées il y a deux ans à Paris par des ouvriers, n’ont pas été confessées cependant dans les congrès tenus depuis lors, et cette année même, en Suisse et en Belgique, les internationalistes et les socialistes allemands ont cherché à réunir pour une action commune les collectivistes et les individualistes. On y a fait moins de science, il est vrai, que de politique, et le but révolutionnaire seul est aujourd’hui le principal objectif des associations. À ce point de vue, le péril n’est pas moindre, tout au contraire. Sans doute les deux grandes portions du parti socialiste ne sont pas d’accord sur la solution à donner au problème de l’amélioration du sort des travailleurs ; si en Angleterre par exemple, où l’ouvrier peut faire d’une part de son salaire le commencement d’un capital, et en France, où il sait acquérir à la fois la terre et le capital, on est plus confiant dans les forces de l’individu, armé déjà du droit redoutable à la grève, mitigé depuis quelque temps par l’établissement des syndicats, en Allemagne au contraire, où le développement de la richesse publique est trop lent, c’est à l’état seul, à la force tyrannique d’en haut que l’on voudrait recourir pour fournir à chacun les instrumens de travail, sans trop s’inquiéter de la justice qui présiderait à la distribution. Mais partout on est d’accord pour renverser d’abord l’ordre établi ; les publications socialistes aller mandes, les programmes politiques développés dans nos grandes villes à chaque crise électorale ne peuvent laisser le moindre doute à cet égard. A un certain point de vue, on a pu dire que le socialisme est un fantôme : il ne supporterait pas en effet un seul jour l’épreuve du pouvoir ; mais, comme machine de guerre, il est d’autant plus redoutable que. ceux dont elle sert l’ambition l’appliquent avec une même discipline à des convoitises semblables, si ce n’est à des systèmes analogues. Le programme révolutionnaire visant un bouleversement politique, voilà le grand danger social et auquel il serait bon d’appliquer la formule caveant consules.

En Allemagne, où l’on ne se pique ni d’euphémisme dans les mots ni de pruderie dans les choses, le socialisme procède à ciel ouvert, et comme le gouvernement n’a encore rien à redouter de lui, il le