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national semblait donner l’exemple à tous les autres princes de la péninsule, et où du haut de la tribune française M. Thiers s’écriait d’un accent sympathique : « Courage, courage, saint-père ! » En peu de temps, ce pape que « Dieu avait donné à l’Italie, » selon le mot du roi Charles-Albert, était devenu l’homme le plus populaire de l’Europe, au grand ébahissement des réactionnaires de tous les pays qui voyaient presque en lui un jacobin !

Comment tout cela devait-il finir ? Avant que deux années fussent écoulées, une révolution nouvelle avait éclaté en France et avait mis le feu à tous les élémens incandescens au-delà des Alpes. La guerre contre la domination étrangère, contre l’Autriche, avait été proclamée, et on avait essayé d’entraîner à la croisade le gonfanon de l’église. Les mouvemens populaires remplissaient l’Italie de confusion. La marée révolutionnaire montait de toutes parts, jusqu’à ce que l’assassinat de l’héroïque Rossi, devenu dans le péril le premier ministre constitutionnel du saint-siège, obligeât le pape à quitter nuitamment le Vatican et à se réfugier à Gaëte, laissant Rome à la république et à Mazzini. C’est là le point d’arrêt. À partir de ce moment, tout change, la réaction commence pour ne plus être interrompue. Le pape libéral de 1846 revient à l’inflexibilité du prêtre, du pontife.

Un jour Pie IX racontait avec bonhomie l’histoire d’un enfant qui avait vu un magicien jouant avec le diable, qu’il faisait tour à tour apparaître ou disparaître à volonté. L’enfant avait bien retenu le mot pour faire apparaître le diable, il n’avait pas le secret pour le faire disparaître. Pie IX se comparait naïvement à cet enfant. Il s’était trouvé, il est vrai, un terrible magicien pour l’aider à faire rentrer sous terre le « diable » révolutionnaire, et ce magicien c’était la force ; c’était l’intervention française à Rome ; c’était le triomphe universel de la réaction en Europe ; mais la force seule ne résout pas ces problèmes, et elle ne fonde rien : c’est une magicienne suspecte ! Au fond, il y avait un désastreux malentendu. Sans doute, lorsqu’en 1846 et 1847 on voulait faire du pape un héros de libéralisme, un chef de toutes les revendications nationales, on lui imposait un rôle qu’il ne pouvait pas accepter ou qu’il ne pouvait du moins concilier que dans une certaine mesure avec le caractère universel du pontificat. Et Pie IX, lui aussi, s’est évidemment mépris, lorsqu’après 1850, restauré et soutenu par la force des armes, il a cru qu’il n’y avait plus qu’à effacer les souvenirs d’un passé si récent, à oublier 1846, à revenir aux traditions de résistance absolue, d’immobilité théocratique. Il n’a pas vu que s’il avait été défendu contre de simples mouvemens révolutionnaires, contre des explosions d’anarchie, le péril serait bien autrement grand pour lui le jour où il se trouverait en face d’une Italie libérale et nationale coordonnée, représentée par un gouvernement régulier. C’est