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son vivant a hérité de sa couronne terrestre. Il est resté sur les ruines d’un ordre politique, de tout un passé dont il est la dernière personnification ; mais, dans ces ruines de la souveraineté temporelle, le pontife n’a point été diminué ; il a plutôt grandi au contraire, et il entre aujourd’hui dans l’histoire accompagné du respect, de l’émotion religieuse du monde. Il disparaît après avoir offert sur la chaire de saint Pierre le spectacle de cette étonnante longévité qui lui a permis de tout voir et de tout connaître, les révolutions les plus profondes, les crises nationales, les mobilités de la fortune, les espérances et les mécomptes, les exaltations et les amertumes. Il quitte la scène après avoir été, lui aussi, un personnage européen, universel, dans la période la plus agitée, la plus tourmentée du siècle.

C’est en effet la destinée de Pie IX d’avoir été mêlé à tout depuis plus de trente ans, de s’être trouvé jeté, avec son caractère ingénu, dans ce tourbillon d’événemens violens dont il a eu le singulier privilège d’être tour à tour l’instigateur et la victime. Au moment où il ceignait la tiare au mois de juin 1846, il était jeune encore pour un pape, il n’avait que cinquante-quatre ans, et il était à peu près inconnu. Il sortait de son évêché d’Imola, il n’avait la pourpre que depuis peu d’années. Certes, lorsque le 17 juin 1846 Mastaï Ferretti était élu pape sous le nom de Pie IX, personne ne se doutait que ce jour-là s’ouvrait un règne qui allait durer plus que tous les autres règnes des papes, qui dépasserait les « années de Pierre, » et que ce pontificat serait illustré et assombri par une série d’épreuves dont le dernier mot devait être la fin de la papauté temporelle. Qui aurait pu lire dans un avenir pourtant si prochain ? Le successeur du pieux et modeste Grégoire XVI qui venait de mourir apparaissait seulement alors comme un pontife plein de candeur, comme un souverain aux intentions généreuses fait pour rendre un gouvernement réparateur à ces malheureux états romains, perdus par un régime suranné de routines ecclésiastiques. Il semblait être le gage d’une régénération possible et régulière. Pie. IX lui-même n’était pas insensible aux séductions de ce rôle qu’on lui faisait presque au sortir du conclave, que l’imagination publique agrandissait rapidement et qu’il acceptait de bonne grâce. Il avait, avec le désir du bien, le goût de cette popularité si nouvelle pour un pape ; il n’avait pas malheureusement, avec ces dons aimables, le génie capable de tout conduire, de tout régler dans un mouvement qui le fascinait et le troublait en l’entraînant, en lui arrachant d’heure en, heure ce qu’il voulait bien accorder et ce qu’il aurait voulu retenir. L’amnistie, les réformes, les manifestations contre l’Autriche, la garde civique, la liberté de la presse, la constitution, tout se pressait. S’il y eut jamais un temps d’enivrement et d’illusions, c’est cette période de deux années où l’Italie entière s’ébranlait au nom de Pie IX, où un pape libéral et