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qu’ils formaient une sorte d’impasse qui restait sans issue lorsque l’escalier en était occupé. Au lieu de s’y installer comme son titre de délégué l’y autorisait, comme son amour-propre devait l’y convier, il fit simplement dresser un lit de camp dans le cabinet du ministre, qui, par de. nombreux dégagemens, permettait une fuite presque assurée. Ce fait n’échappa point à la perspicacité du personnel régulier, et un garçon de bureau dit : « C’est bon signe ; quand le moment viendra, il ne sera pas le dernier à décamper. » La prévision se trouva justifiée par l’événement.

Le premier soin de Latappy fut d’organiser son ministère et de réunir près de lui quelques-uns de ses amis politiques qui, à bout de voie, sans ressources et sans courage pour s’en procurer, rêvaient depuis longtemps de s’asseoir à la grande table de l’émargement. Il désigna Boiron pour remplir les délicates fonctions de secrétaire-général, qui constituaient à ce bambin la qualité de sous-ministre et lui donnaient une importance considérable. Boiron avait fort peu de cervelle, beaucoup d’activité naturelle, une jeunesse intempérante, et recherchait volontiers les premiers rôles ; il avait fait acte d’insurrection à la journée du 31 octobre et se vantait hautement d’avoir tenu le général Trochu entre ses mains. Un sieur Boisseau, qui se disait ingénieur civil et qui était un des membres les plus remuans de l’Internationale, centralisa le service du matériel et des machines. Des trois principes invoqués par toutes les révoltes, liberté, égalité, fraternité, il avait nettement supprimé le dernier ; jamais pacha, jamais proconsul, jamais roi nègre ne fut plus brutalement impitoyable pour les hommes qu’il eut à diriger ; ceux qui eurent la mauvaise chance de devoir lui obéir en parlent encore avec épouvante. Combien il y en eut, au temps de la commune, qui ne virent dans la liberté réclamée et acclamée que le droit d’exercer une autorité sans contrôle et de développer tout à l’aise les instincts despotiques dont ils souffraient et qu’ils prenaient peut-être naïvement pour des aspirations vers le progrès ! Boisseau était de ceux-là ; son infériorité sociale le désespérait ; il se figurait qu’il était un grand personnage méconnu, accusait l’humanité, se sentait humilié d’être le mari d’une sage-femme, croyait se hausser dans sa propre estime en étant un maître implacable, et prouvait simplement par là qu’il avait une nature inférieure faite pour obéir et non pour commander.

La comptabilité, c’est-à-dire la gestion de toutes les sommes versées au ministère pour en assurer les services, fut abandonnée à un jeune maréchal des logis du 2e spahis, âgé de vingt-cinq ans, libéré en juillet 1870, et qui s’appelait Ludovic Matillon. Il était intelligent, passionné en politique, viveur, hautain, très dépensier,