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emparé de Momien en escaladant avec ses troupes les roches qui dominaient entièrement la ville, roches réputées imprenables. « L’aspect de cet homme, a écrit M. Margary, a quelque chose de mystérieux comme le sphinx ; son sourire est d’une douceur féline. Après la victoire, ce général, si doux d’aspect, fit froidement exécuter des milliers de mahométans. »

Quatre jours avant d’arriver à Manwyne, au centre d’une magnifique vallée, le voyageur avait rencontré une peuplade du nom de Payi, singulier mélange de Chinois, de Shons et de Laotiens. Ces hordes couvrent toute la contrée comprise entre la Birmanie, le royaume de Siam, le Cambodge et la Chine. « Leurs vêtemens et leurs costumes m’intéressèrent vivement, dit M. Margary. Divisées en petites principautés, dont je pus visiter en route trois ou quatre, ces tribus sont gouvernées par des chefs qui leur sont propres, mais sous la surveillance des autorités chinoises. Étant l’hôte des chefs, j’ai été bien reçu par eux. Les femmes, au lieu d’imiter la réserve des femmes chinoises, parlent volontiers avec les étrangers. Leur vêtement est merveilleux, et ce merveilleux est dû à leur coiffure qui consiste en un turban ayant la forme d’un énorme bonnet de grenadier ! Une petite jaquette bleue, dont le collet est fermé par une boucle d’argent, couvre le haut du corps ; un jupon court et de même couleur, ornementé par des panneaux rouges, bleus et blancs, complète le costume. Leurs souliers sont rouges et brodés ; elles entourent le bas de leurs jambes d’étoffes bleues couvertes d’ornemens soutachés aux vives nuances. Plusieurs fois, j’ai passé des journées entières avec les chefs de famille ; ils sont fort curieux, et je les vis examiner mon bagage avec de grandes marques d’admiration ; chose étrange, ils écrivent à notre manière, de gauche à droite, et les caractères ont une apparence italique. Les hommes sont légers dans leurs mouvemens, actifs et bien faits. Ils portent une longue jaquette bleue en drap et laissent leurs genoux à découvert à la façon des highlanders. J’en ai vu habillés de blanc avec une ceinture rouge, la tête couverte d’un large chapeau de paille, de la coupe de ceux de Peghorn, et armés d’une longue épée. Les femmes portent des boucles d’oreilles en argent dont les formes varient à l’infini. Elles ont, ainsi que les hommes, d’autres ornemens du même métal. »

A Manwyne, où il est le 11 janvier, Margary trouve quarante soldats birmans qui lui ont été envoyés par le colonel Browne, pour le protéger contre les attaques éventuelles des tribus qui occupent la route entre Bhamô et Manwyne. Je suis convaincu que l’entrée tout à fait insolite de ces hommes armés sur le territoire chinois a dû contribuer quelques jours plus tard à l’assassinat de l’infortuné voyageur. Quoi qu’il en soit, rien ne transpira du