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détermina de l’autre côté du détroit un grand mouvement de l’opinion publique, et lord Aberdeen fut renversé du pouvoir pour avoir tergiversé sur l’obligation que le traité de 1841 imposait à l’Angleterre de défendre l’intégrité et l’indépendance de la Turquie. Lord Palmerston, au contraire, n’hésita pas à assigner pour but à la politique des alliés la limitation de la puissance russe ; il rompit avec lord John Russell, à la suite des conférences de Vienne, parce qu’il jugeait que celui-ci avait fait trop de concessions aux négociateurs russes ; s’il déposa les armes avec regret et s’il souscrivit avec répugnance au traité de Paris, c’est qu’à son avis on avait fait à la Russie des conditions trop douces et l’on n’avait pas pris contre elle des précautions suffisantes.

Quel était cependant l’objet fondamental du traité de Paris, sinon de mettre à l’abri de toute atteinte l’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman ? C’étaient les termes mêmes dont on se servait dans le traité. De plus, en 1814, bien que la Turquie eût été en guerre avec l’Angleterre et avec la Russie, on ne l’avait point appelée au congrès de Vienne, ce qui la reléguait parmi les puissances orientales. Cette fois on la faisait entrer dans le concert européen, afin de constater que rien de ce qui la touchait ne pouvait être étranger à l’Europe. L’intégrité de l’empire ottoman voulait dire qu’il ne serait pas permis à la Russie de reprendre, par quelque voie que ce fût, les territoires qu’on lui enlevait, et qu’aucune puissance ne pourrait s’agrandir aux dépens de la Turquie.

La garantie accordée à l’indépendance du sultan visait à rendre impossible le retour d’incidens analogues à la mission du prince Mentchikof. La Turquie devait être aussi complètement maîtresse de son administration intérieure que toute autre puissance européenne : elle ne devait avoir à subir les conseils, les admonestations ou les menaces d’aucun de ses voisins. Lord Palmerston fut très explicite sur ce point dans la séance de la chambre des communes du 6 mai 1856. Plusieurs orateurs avaient exprimé l’appréhension que le sultan ne se crût libre de revenir sur le hatti-chérif du 18 février 1856, par lequel il avait garanti à ses sujets de toute communion la jouissance de leurs droits politiques et religieux ; ils regrettaient que dans le traité de Paris il n’eût pas été pris acte de ces concessions du sultan afin de les rendre irrévocables. Le congrès avait précisément repoussé un amendement des plénipotentiaires russes qui avait pour objet d’introduire dans le traité la mention de « l’acte spontané de la volonté souveraine du sultan comme un nouveau gage de l’amélioration du sort des chrétiens en Orient. » Lord Palmerston expliqua que c’était par respect pour l’indépendance et la souveraineté du sultan qu’on s’était abstenu d’introduire dans le traité toute stipulation qui aurait pu avoir pour