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effet de donner au hatti-chérif le caractère d’un engagement bilatéral, L’obligation morale qui résultait pour la Porte du texte des protocoles de la conférence de Vienne et des préliminaires de paix, acceptés et signés par ses plénipotentiaires, liait l’empire turc vis-à-vis des puissances chrétiennes sans donner à aucune de celles-ci un droit d’ingérence dont l’expérience avait montré le danger.

Une des clauses du traité de Paris intéressait tout particulièrement l’Autriche, et il importe de la rappeler aujourd’hui. C’était la clause relative à la réglementation de la navigation du Danube. Cette réglementation était réservée aux puissances riveraines, et l’Autriche avait eu soin de faire reconnaître ce titre à la Bavière et même au Wurtemberg, bien que possédant uniquement le cours supérieur du fleuve. Comme la Russie, par suite de la rectification de frontière qui lui était imposée, ne touchait plus nulle part au Danube, l’Autriche se trouvait seule, avec ses deux petits alliés allemands, en face de la Turquie, qui n’a point de marine commerciale ; en réalité, elle était maîtresse de régler à son gré la navigation de ce grand fleuve, et les développemens qu’a pris la Société impériale de navigation, les services maritimes établis sur Constantinople, Sinope, Trébizonde et Batoum, montrent si cette puissance a su mettre à profit les avantages qui lui étaient attribués.

La neutralisation de la Mer-Noire était la part faite aux intérêts anglais, toujours préoccupés de ce qui peut troubler la répartition des forces maritimes dans le bassin de la Méditerranée. Aussi, dès que cette clause eut été suggérée par la France aux conférences de Vienne, l’Angleterre l’adopta avec empressement, et n’épargna aucun effort pour déterminer l’adhésion de l’Autriche, qui trouvait une pareille stipulation trop dure pour la Russie. Non-seulement l’Angleterre insista pour l’adoption définitive de cette clause, mais ce fut le désir qu’elle avait d’en assurer la constante exécution qui fut le point de départ du célèbre traité de garantie du 15 avril 1856. Dans les projets élaborés aux conférences de Vienne, la garantie collective des trois puissances, Angleterre, France et Autriche, s’appliquait uniquement à la neutralisation de la Mer-Noire. Au congrès de Paris, lorsque l’Autriche eut obtenu sa part, la garantie collective fut étendue à toutes les dispositions du traité général de paix.

Le traité de Paris était-il efficace, et les dispositions en étaient-elles bien combinées pour atteindre l’objet qu’il avait en vue ? Les efforts incessans de la Russie pour en obtenir la révision et les sacrifices qu’elle vient de s’imposer pour le détruire répondent suffisamment à cette question. Que le traité de Paris eût été observé dans toute sa teneur, et que ses garans n’eussent point failli à leurs obligations, et la paix de l’Orient était à l’abri de toute atteinte. A-t-il au moins porté fruit pendant qu’il a été respecté ?