Je ne sais pas, répondit-il, je suis concierge et ne suis pas pompier. — Ils repoussèrent les pompes vers les barricades. C’est alors que Matillon fit retourner deux des canons qui battaient les approches de la place de la Concorde et les fit diriger vers les maisons d’angle de la rue Royale et du faubourg Saint-Honoré. Lorsque la pièce était chargée et pointée, on refoulait par-dessus la gargousse un paquet de filasse préalablement trempé dans de l’huile de pétrole. Précaution plus ingénieuse qu’efficace, car les étoupes, divisées par la commotion, se dispersaient en l’air et retombaient comme une pluie enflammée avant d’avoir atteint le but. Les bandits purent être satisfaits : la Ménan, la Vandewal, la Machu et le troupeau de mâles qui les avait suivies n’avaient point perdu leur temps. L’incendie éclatait partout. Les maisons de la rue Royale portant les numéros 15, 16, 17,19, 21, 23, 25, 24, 27, le no 422 de la rue Saint-Honoré, les numéros 1, 2, 3 et 4 du faubourg Saint-Honoré, étaient en feu. Dans les caves de la maison qui fait le coin du faubourg et de la rue Royale, sept personnes s’étaient imprudemment réfugiées : elles y périrent. Avant d’allumer la maison du no 16, qui forme l’angle de la rue Saint-Honoré et dont le rez-de-chaussée est occupé par un marchand de vin nommé M. Vallée, les incendiaires eurent une précaution qui ne doit pas être mise en oubli. Ils jugèrent illogique de laisser dans des caves exposées à une ruine certaine de bonnes, bouteilles qu’ils aimeraient à boire. Ils traînèrent devant la porte trois tonneaux de porteurs d’eau, qu’ils remplirent de vin en faisant la chaîne avec des brocs, comme s’il se fût agi d’éteindre un incendie. Lorsque les trois tonneaux à bras furent pleins jusqu’aux bords, on alluma la maison. C’était là un « en cas » qui fut épuisé pendant la soirée même, au milieu d’une scène à la fois grotesque et lugubre qui fait sérieusement douter de l’état mental de ces gens-là.
Le crépuscule avait fait place à la nuit, et les incendies, brillant à travers l’obscurité, apparaissaient dans toute leur horreur. Le combat, sans avoir pris fin, était singulièrement ralenti ; de chaque côté on était harassé de fatigue ; les batteries tiraient mollement et à de longs intervalles. Sur la barricade de la rue Royale, un loustic avait imaginé de planter une petite potence à laquelle il avait accroché un rat mort ; au-dessous, il avait fixé une pancarte sur laquelle on lisait : « Mort à Thiers, Macmaon (sic) et Ducrot, les rongeurs du peuple ; défense d’y toucher. » Cette sotte plaisanterie eut un vif succès : les fédérés, les ambulancières, les vivandières, les incendiaires s’étaient groupés et applaudissaient. Un obus versaillais éclata sur la place ; tout le monde poussa une clameur de joie et de défi. Un homme et une femme se mirent à danser vis-à-vis l’un de l’autre, ce fut comme un signal ; toute la