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poursuite du cuirassé, mais le commandant avait l’ambition d’un succès plus éclatant. Au lieu de rentrer au port, il fit route pour Soukoum-Kalé, où il comptait rencontrer des adversaires. Les nuits étaient claires à ce moment, mais on attendait le 11 une éclipse de lune, et l’on se proposait d’en profiter pour surprendre les Turcs. L’aviso portait des bateaux-torpilleurs. En rade de Soukoum se trouvait un cuirassé dont la présence était signalée par un incendie à terre, où brillaient également de grands feux de bois. La surprise était manquée ; il fallait y suppléer par la rapidité des mouvemens. Les bateaux-torpilles furent mis à la mer ; c’étaient : le Sinope, monté par 1 lieutenant, 1 enseigne, 1 pilote et 5 matelots ; le Tchesmé, avec 1 lieutenant, 1 pilote et 1 mécanicien ; le Miner, portant 1 lieutenant, 1 enseigne et 5 matelots ; le Navarin, conduit par 1 lieutenant et 5 matelots. Aussitôt à la mer, les quatre embarcations se précipitèrent sur le navire turc : quelques minutes suffirent pour achever l’entreprise. Le Sinope porta le premier coup ; le Navarin le seconda par une atteinte qui ébranla fortement le navire ; le Miner compléta l’œuvre de destruction. Le cuirassé sombra au milieu des clameurs désespérées de l’équipage, qui se défendait mollement, quoique dès l’approche des bateaux russes il les eût couverts d’une pluie de balles et de mitraille. Les assaillans entendaient parfaitement les ordres qu’on donnait à voix claire et calme à bord du navire attaqué. Le grand canot du cuirassé avait été mis à la mer, et les marins turcs qui le montaient engagèrent un furieux combat à coups de poignard avec le Sinope. Le commandant de cette embarcation avait reçu un coup d’aviron sur la tête, et peu s’en était fallu qu’il ne fût entraîné à la mer au moyen d’un grappin. Toutefois le Sinope parvint à se dégager, et, suivi des trois autres bateaux, qui n’attendirent pas la submersion du navire, car ils étaient accablés par des feux de mousqueterie dirigés contre eux du rivage, ils rejoignirent en hâte le Grand-duc-Constantin, qu’ils accostèrent avec des hurrahs. Ni une embarcation ni un homme ne manquaient au rendez-vous. Mais déjà apparaissait à l’horizon, — il était quatre heures du matin, — la mâture de deux bâtimens de la marine ottomane. L’aviso n’avait pas de temps à perdre. Sept minutes suffirent pour hisser à bord les embarcations et leurs équipages. Le Grand-duc-Constantin put se retirer sans coup férir.

Ces incidens prouvent le savoir et l’énergie des officiers, la bonne discipline des marins, spécialement l’habileté qu’ils ont acquise dans le maniement des torpilles et des bateaux-torpilleurs. La règle généralement suivie a consisté dans une marche dissimulée et sans bruit jusqu’au moment où les sentinelles découvrent ces bateaux et appellent aux armes. Alors les embarcations, au