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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/470

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dépens combien les grands empires sont fragiles. Ce ne sont pas non plus les avantages d’une puissante unité que pouvait lui offrir l’Allemagne, elle qui en est encore à en chercher la formule et à méditer une législation civile, administrative et économique uniforme qui soit capable d’assurer à tous ses sujets ce dont l’Alsace jouissait en France depuis bien longtemps. Non, l’Allemagne était condamnée, par la mission qu’elle s’est donnée, à ne doter tout d’abord l’Alsace que d’un principe qui est la négation même de toutes les tendances modernes : l’absorption de toutes les forces vives d’un pays au profit d’un état militaire. On a vu les conséquences que ce principe n’a pas tardé à produire dans cette riche et laborieuse province. — Les Alsaciens ne se sont pas tout de suite rendu compte de la profonde différence de situation qui devait résulter pour eux de ce retour d’une société fondée sur le travail fécond vers une association qui a la raison d’état pour base et le redressement des prétendus torts de l’histoire pour mission volontaire : la plupart ne s’en rendent pas compte encore, mais il n’en est pas un qui n’en éprouve à tout instant, en son particulier, les funestes effets. Et ce qui prouve combien cette situation est violente et fausse, c’est que, comme le rappelait fort justement M. Bezanson, l’Allemagne tout entière en souffre dans ses intérêts plus encore peut-être que l’Alsace-Lorraine elle-même.

III.

On vient de voir quelle est, dans ses traits généraux, la condition actuelle de l’Alsace-Lorraine au point de vue purement économique. Il nous faut maintenant jeter un coup d’œil sur l’état politique de cette province depuis que son sort est devenu solidaire de celui de l’empire d’Allemagne.

Dans les commencemens, les intentions du gouvernement de Berlin à l’égard de sa nouvelle province ont été excellentes et, croyons-nous, sincères. Le 2 mai 1871, dans la discussion de la loi d’annexion, M. de Bismarck disait : « Nous avons, selon moi, bien des moyens pour réussir à vaincre l’antipathie que nous témoignent ces populations et à gagner leur affection. Nous autres Allemands, nous avons en général coutume de gouverner avec plus de bonhomie, bien qu’avec un peu plus de maladresse parfois, mais, tout compte fait, nous sommes plus bienveillans, plus humains que les hommes d’état français : c’est là une supériorité du régime allemand qui ne tardera pas à nous conquérir les cœurs allemands des Alsaciens. De plus, nous sommes en mesure d’assurer à ces populations une liberté communale et individuelle beaucoup plus grande que ne l’eussent jamais pu les institutions et les traditions françaises… Je suis convaincu que, la patience allemande et la bienveillance allemande ai-