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de Trestaillons et des personnes qui le défendaient. Comment aurait-on osé l’arrêter quand des royalistes se plaignaient de voir a les ennemis du roi impunis, » et menaçaient de se faire justice, quand tous les jours on menaçait la citadelle dans laquelle quelques malheureux étaient enfermés comme suspects d’esprit révolutionnaire, quand, en un mot, une partie de la population ne respirait que vengeance[1] ?

On était alors à la fin de septembre. Depuis dix jours, les Autrichiens avaient à l’improviste évacué la ville de Nîmes et le département, pour retourner en Provence, se contentant de laisser 1,500 hommes au Pont-Saint-Esprit et à Beaucaire, afin de garder le passage du Rhône. On pouvait craindre que leur brusque départ ne donnât lieu à de nouveaux troubles. Il n’en fut rien cependant. Il est vrai que le commandement militaire avait été confié à un soldat énergique, le comte Auguste de Lagarde[2] dont la carrière militaire s’était passée au service de la Russie, en qualité d’aide-de-camp du duc de Richelieu. Le dévoûment de l’autorité n’avait jamais été plus nécessaire.

Vers le 15 octobre, le bruit se répandit que Trestaillons allait être emprisonné ; en même temps, le procureur du roi, cédant, par une faiblesse injustifiable, aux sollicitations incompréhensibles de plusieurs citoyens honorables, faisait mettre en liberté, sans en avertir le général, dix individus arrêtés, le mois précédent, comme pillards, dans les environs de Nîmes, et que ce dernier avait donné l’ordre de traduire devant un conseil de guerre, et de fusiller dans les vingt-quatre heures, s’ils étaient condamnés. Leur retour coïncidant avec une rumeur menaçante pour le plus compromis des fauteurs de désordre provoqua un commencement d’émeute. Le 16 au matin, une maison protestante fut pillée dans un faubourg. Des patrouilles parcoururent la ville, et dans la soirée, elles essuyèrent plusieurs coups de feu. A dix heures, la générale fut battue sans ordre, les rues se trouvèrent subitement remplies d’hommes armés qui ne savaient vers quel lieu ils devaient se transporter. Le

  1. Des officiers de l’armée impériale détenus en prison, ayant été par prudence transportés à Montpellier, furent attaqués, au sortir de Nîmes, Une de leurs voitures fut brisée, et leur vie courut de sérieux. périls. Le général de Briche commandant la division, n’osait faire fusiller quelques scélérats, ne sachant quel effet produirait cette exécution. Tout le département était en proie à la même anarchie. Le registre du commissaire-général de police révèle chaque jour des pillages et des excès odieux.
  2. Daniel Stern (Mme d’Agoult) a laissé dans ses Souvenirs un touchant portrait de ce général, qui fut aussi un habile diplomate, et qui, dans l’âge mûr, conçut pour celle qui s’appelait alors Mlle de Flavigny une passion profonde presque partagée, à en croire ce cri de Mme d’Agoult, vieillie et désenchantée : « Avec quelle amertume, dans le long cours des ans, je me suis accusée et repentie de n’avoir pas écouté la voix de mon cœur ! »