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sensible dans ces œuvres de jeunesse, c’est bien celle-là. D’où sortent le Fabrice et le spadassin Annibal de l’Aventurière, le chevalier de Talmay de Philiberte, le Chalcidias du Joueur de flûte, sinon d’une lecture enthousiaste des comédies poétiques d’Alfred de Musset ? Ne reconnaissez-vous pas dans leur langage cette crânerie de ton, ces tours fantasques, ces métaphores à effet comique et ces images intentionnellement grotesques qui distinguent les libertins et les bouffons de l’auteur des Contes d’Espagne ? L’influence de Victor Hugo est peu sensible ; cependant serait-il bien difficile de retrouver dans le personnage de don Annibal plus d’un trait de Saltabadil et de don César de Bazan ? Diane ne relève-t-elle pas uniquement du genre de drame historique créé par le chef de l’école romantique, et, bien qu’il n’y ait d’autre analogie entre les deux pièces que le choix de l’époque, M. Augier ferait-il grande difficulté d’avouer que son drame n’existerait probablement pas si Marion Delorme n’avait pas été écrit ? Mais à quoi bon rechercher plus longtemps les indices de ce romantisme clandestin, puisque les journaux nous ont appris récemment que le poète en avait fait l’aveu tardif. Sa présence au banquet donné par Victor Hugo aux interprètes récens d’Hernani n’était sans doute pas le retour de l’enfant prodigue, mais elle peut être considérée, en même temps qu’un témoignage manifeste et public de réconciliation, comme une marque de reconnaissance envers une école à laquelle il doit, quoiqu’il ait été son adversaire, quelques-unes de ses meilleures qualités.

Une fois, une seule, M. Augier a fait acte d’hostilité contre le romantisme, et a semblé prendre à cœur de mériter son titre de chef en second de l’école du bon sens ; nous voulons parler de Gabrielle, la plus importante des pièces de Cette période de jeunesse, sinon par le charme et la perfection, au moins par l’étendue et l’intention. La situation à laquelle se rapporte Gabrielle est aujourd’hui bien oubliée ; rappelons-la en quelques mots. La réaction de l’école du bon sens avait eu en somme peu de succès, parce qu’elle s’était surtout attaquée aux doctrines littéraires du romantisme, lesquelles étaient suffisamment solides pour résister ; mais le romantisme présentait des parties plus vulnérables que ses doctrines, par exemple le faux idéal de sentimentalité mis à la mode par lui, et la brillante immoralité de ses productions qui avaient à tant de reprises exalté la supériorité de la passion sur le simple devoir avec une si pernicieuse complaisance qu’elles avaient fini par créer un courant d’imitation fertile en résultats désastreux. L’éloquence enflammée de George Sand avait enfanté, disait-on, nombre de femmes incomprises, et, nous en sommes témoin nous-même, la psychologie perverse de Balzac avait créé par myriades des émules