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obscurs de Rastignac et de De Marsay. Ce courant de la mode avait duré sans discontinuité pendant tout le règne de Louis-Philippe, mais la révolution de février survint, et une des conséquences heureuses de cette révolution, qui en eut si peu de bonnes, fut de dégriser les âmes du faux idéal dont elles s’étaient engouées naguère, mais qu’on rendait responsable maintenant pour sa part de l’affolement de l’opinion. De même qu’il avait fallu en politique mettre un terme aux coûteux abus de cette maxime que l’insurrection est le plus saint des devoirs, l’instant semblait venu en morale de démontrer au moins que le concubinage n’est pas le plus sacré des liens. Une réaction était dès lors nécessaire, et on la sentait partout dans l’air à cette époque. Que faisait d’autre, à ce moment même, ce charmant Octave Feuillet avec ses proverbes d’une si délicate et souvent si profonde psychologie, sinon combattre la morale issue des œuvres romantiques au moyen des armes même du romantisme, c’est-à-dire en essayant de placer dans la famille et la vie conjugale autant de passion que d’autres écrivains en avaient placé dans la vie de désordre et la rupture des liens sociaux ? Chose curieuse, cette réaction dont nous marquons l’origine s’est opérée en grande partie par le romantisme lui-même, car elle ne fut définitivement accomplie que le jour où Gustave Flaubert, la portant à son maximum de violence, eut donné le coup de mort au faux idéal de la sentimentalité par le récit des erreurs d’Emma Bovary.

Gabrielle fut donc, comme les proverbes d’Octave Feuillet, un des élémens de cette réaction naissante, et l’on y sent toutes les incertitudes et toutes les timidités des mouvemens à leur début. Là où il aurait fallu une comédie satirique hardie, quelque chose comme les Précieuses ridicules de l’amour, on eut un sermon, ou mieux un plaidoyer dialogué, où les personnages, gens du palais, n’ont pas eu à prendre la peine d’oublier les habitudes de leur métier. En dépit de l’intention, Gabrielle reste une pièce blafarde de sentimens et ennuyeuse de composition. Quelques parties en sont excellentes, mais l’ensemble n’a rien d’agréable ni d’émouvant, et va presque contre le but que poursuivait l’auteur. Bien qu’elle soit écrite en vers, la pièce, loin de montrer la poésie de la vie conjugale, n’en montre que la plus triste prose. En dépit des fleurs dont il a essayé de l’égayer, l’intérieur bourgeois que nous présente le poète est si morne, que cette peinture donne presque raison à l’ennui de Gabrielle. Ce défaut n’échappa point alors aux ennemis de la morale bourgeoise, qui se plurent malicieusement à relever toutes les trivialités de sentiment, toutes les vulgarités de calculs et toutes les maladresses de langage de l’honnête Julien. Cependant l’erreur capitale de l’auteur, à notre sens, est de n’avoir pas