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plus de résolution elle aurait pu atténuer, si ce n’est détourner, les événemens. Même dans ces derniers mois de guerre, il y a eu des heures où elle aurait pu intervenir utilement en médiatrice de la paix, et dans tous les cas elle n’aurait pas risqué plus qu’elle ne le fait aujourd’hui. Elle était seule, il est vrai, elle se sentait enchaînée par des résistances d’opinion, par des dissidences qui pénétraient jusqu’au sein du cabinet. Elle n’a rien fait quand il en était temps encore, et après avoir trop tardé, elle se trouve en présence d’un dénoûment importun contre lequel elle finit par se révolter. C’est précisément à cette occasion que vient d’éclater la crise intérieure dont la démission de lord Derby a été la suite et qui a été expliquée avec une patriotique réserve devant le parlement. Ce n’est point à propos de la participation de l’Angleterre au congrès que la rupture s’est produite dans le ministère. Lord Derby lui-même considérait cette participation comme impossible dès que la Russie refusait de soumettre le traité de paix tout entier au congrès ou du moins répondait d’une manière évasive. L’ancien chef du foreign office a hésité au dernier moment comme il a hésité bien des fois depuis deux ans, comme il hésitait il y a deux mois au moment de l’entrée de la flotte de l’amiral Hornby dans les Dardanelles. Il n’a pas voulu aller plus loin ; il a refusé de suivre lord Beaconsfield jusqu’à la mobilisation des réserves de l’armée de terre. Et cependant, dès qu’il n’y avait pas de congrès, il fallait bien prendre un parti. Le cabinet de Londres était inévitablement conduit à se mettre en mesure de faire face à toutes les éventualités. Il est clair que dans les récens arrangemens de l’Orient il y a des nouveautés que le gouvernement britannique refusera d’admettre dans son propre intérêt aussi bien que dans l’intérêt de la « liberté de l’Europe, » selon le mot de lord Beaconsfield. Il n’est pas moins certain que l’Angleterre ne quittera pas les eaux de la mer de Marmara tant que les Russes seront devant Constantinople, et comme les Russes déclarent à leur tour qu’ils ne quitteront pas les abords de Constantinople tant que les Anglais seront dans la mer de Marmara, le cercle est sans issue. On est à la merci des incidens. C’est sans contredit une situation pleine de périls.

Quelle attitude va prendre l’Autriche de son côté ? Ce qui est vrai de l’Angleterre est peut-être aussi vrai, au moins jusqu’à un certain point, de l’Autriche elle-même. Sans doute, dans le cours de cette longue crise, l’Autriche, elle aussi, aurait pu avoir une influence sur les événemens, arrêter la Russie ; mais elle était bien plus que l’Angleterre enlacée de toute sorte de difficultés intérieures ou diplomatiques, et maintenant c’est devant les faits accomplis qu’elle est obligée de se décider. La mission que le général Ignatief remplit en ce moment à Vienne aura-t-elle pour effet d’immobiliser définitivement l’Autriche, de prolonger cet état énigmatique sur lequel le comte Andrassy disait récemment qu’on ne pourrait se prononcer que plus tard ? Le général Ignatief