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est assurément un habile diplomate ; il a dû arriver avec des offres séduisantes, surtout avec des paroles propres à raviver les souvenirs de l’alliance des trois empereurs. Quelle que soit cependant l’adresse de l’envoyé russe, la réalité est là, et le traité de San-Stefano est là aussi. Tous ces remaniemens, toutes ces créations au sud des Balkans, sur la mer Egée ou l’Adriatique ne peuvent être qu’une menace pour la sécurité de l’Autriche, pour son avenir. Dût-on lui accorder quelques rectifications des frontières des nouveaux états, ce ne serait pas pour elle une garantie bien sérieuse. Dût-on la tenter encore par l’appât de la Bosnie et de l’Herzégovine, elle ne pourrait en cédant que se compromettre, se lier à un nouveau partage, à une œuvre de la force. Par bien des raisons, elle peut être portée à ménager la Russie ; par ses intérêts les plus évidens, elle est rapprochée de l’Angleterre, dont l’attitude même lui est utile au moment présent dans ses négociations avec l’envoyé russe. Entre les deux puissances, il y a des traditions de politique commune en Orient. Pour l’Autriche comme pour l’Angleterre, la question ne reste pas moins dans sa gravité, parce que toutes les résolutions sont devenues difficiles et périlleuses.

Pour nous, en France, nous pouvons parler de ces crises sans parti-pris. La France est certes aujourd’hui la plus désintéressée des nations, et il faut bien s’entendre, elle est désintéressée librement, par choix, non par indifférence ou par faiblesse, non parce qu’elle se sentirait au-dessous du rôle que les événemens pourraient lui rendre. Cette neutralité impartiale, attentive, est pour le gouvernement un devoir et un acte de prévoyance. Le droit des esprits indépendans est de ne pas laisser croire que la politique française, même dans ses abstentions préméditées, oublie ses traditions et se sépare des intérêts européens livrés à l’ardeur des mêlées contemporaines.

Le meilleur moyen de venir en aide à cette politique extérieure toute de prévoyance, de raison et de réserve, ce serait d’arriver enfin à se fixer dans des conditions de vie intérieure un peu moins précaires. A quoi bon une constitution, — puisqu’il y a une constitution acceptée et régulièrement reconnue, — si elle doit être perpétuellement mise en doute ? A quoi servirait d’avoir franchi heureusement les mauvais pas, les écueils, si l’incertitude et l’irritation devaient se prolonger par une série d’escarmouches, de procédés défians et provocans ? C’est pourtant à tout cela qu’on dépense beaucoup d’activité ou beaucoup d’imagination depuis quelques semaines. La crise qui a éprouvé la France l’an dernier s’est dénouée il y a trois mois aussi favorablement qu’elle pouvait se dénouer j la paix s’est faite sérieusement entre les pouvoirs publics ; un ministère sensé et modéré existe. Les problèmes les plus dangereux ont été sagement écartés, et depuis qu’il n’y a plus de grosses questions, de gros nuages, on semble se faire un singulier plaisir de soulever toute sorte de petites affaires, de petits