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d’en être importé ? Pour le système nyaya, il a été démontré d’une manière péremptoire par un savant mémoire de M. Barthélémy Saint-Hilaire qu’il n’a aucune analogie avec la syllogistique d’Aristote. C’est sans doute un curieux essai de logique, mais tout rudimentaire, et qui ne peut pas être comparé, même de loin, à l’œuvre monumentale de l’organon. On peut avoir plus de doutes sur l’origine de la métempsycose ; mais ce dogme, qui vient de l’imagination plus que de la pensée, n’est qu’un accident dans la philosophie grecque. D’ailleurs il semble bien qu’il a ses origines sinon dans la religion officielle de la Grèce, au moins dans la poésie orphique[1] : il ne dériverait donc de l’Orient que d’une manière médiate ; enfin il y aurait à chercher s’il ne viendrait pas de l’Égypte plutôt que de l’Inde. La doctrine de l’enveloppement et du développement est d’une bien plus haute importance et elle est commune au système sankya et à Empédocle ; j’en dirai autant de la doctrine des créations successives, ou des alternatives de création et de dissolution, qui se trouvent à la fois, dans l’Inde, dans le Sankya et le Védanta, en Grèce dans Héraclite et dans les Stoïciens. Il ne faudrait pas nier absolument qu’il ne puisse y avoir dans ces diverses doctrines quelque chose d’oriental, mais il n’y a certainement aucune trace d’emprunt direct et conscient, et ce serait le cas d’invoquer le système de l’infiltration lente, système qui ne peut être ni réfuté ni démontré, mais qui n’a rien d’impossible ; quoique d’un autre côté ces analogies, très vagues d’ailleurs, puissent également s’expliquer par les analogies naturelles de l’esprit humain. Quant à la doctrine de l’acatalepsie (l’incompréhensibilité), j’ai peine à croire, malgré le témoignage d’Ascanius d’Abdère, que Pyrrhon l’ait rapportée de son voyage dans l’Inde. Elle était tellement dans l’esprit du temps, si naturellement amenée par les luttes philosophiques d’alors, qui dans la nouvelle académie provoquaient une doctrine analogue ; elle a en outre tant de traits de ressemblance avec l’ancienne sophistique, qu’on a bien peu besoin de l’Orient pour expliquer le pyrrhonisme. Il en est de même de la doctrine de l’ataraxie (imperturbabilité), commune alors à toutes les écoles, au stoïcisme et à l’épicuréisme aussi bien qu’au pyrrhonisme. En supposant que la vue de l’insensibilité des gymnosophistes indiens et quelques entretiens avec eux sur la vanité des choses aient pu avoir une certaine influence sur l’esprit de Pyrrhon (ce qui n’a rien d’invraisemblable), ces doctrines se transformèrent tellement grâce à lui qu’il y a eu autant d’originalité à se les assimiler qu’à les créer ; car autre chose est l’indifférence mystique, autre

  1. Voyez le livre de M. Jules Girard : le Sentiment religieux chez les Grecs. Paris, 1868.