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juge nécessaire dans l’intérêt de l’Autriche, et il a la conviction que je lui réponds la vérité, comme je suis convaincu qu’il me dit la vérité sur les intentions de l’Autriche. » De ces deux discours, l’un à la louange de la Russie, l’autre à la louange de l’Autriche et du comte Andrassy, qui représente dans le cabinet de Vienne l’élément anti-russe, lequel contient le fond de la pensée de M. de Bismarck ? L’un et l’autre, croyons-nous, expriment les sentimens du chancelier, qui veut avant tout sauvegarder son œuvre de prédilection, l’alliance des trois empires. L’Allemagne ne fera point à la Russie une guerre que le roi Guillaume considérerait comme fratricide ; mais, à cela près, elle n’épargnera rien afin d’obtenir pour l’Autriche toutes les satisfactions que cette puissance réclamera. M. de Bismarck ne saurait agir autrement sans heurter les sentimens de l’Allemagne. Il est à remarquer en effet que, même en mettant à part le discours d’un orateur polonais et celui de M. Liebknecht, remplis tous les deux des plus vives attaques contre la Russie, tous les orateurs qui représentent les diverses nuances du Reichstag, M. de Bennigsen comme M. Windthorst, M. Hamel comme M. de Bethusy-Huc, M. Lœwe comme M. Heildorf, se sont prononcés pour que l’Allemagne appuyât et défendît les intérêts autrichiens : pas un seul orateur ne s’est montré favorable à l’alliance russe. Aussi, tandis que les feuilles russes, en commentant les paroles de M. de Bismarck, ont laissé percer un peu de désappointement, le comte Andrassy, au sein de la délégation hongroise, a exprimé toute la satisfaction que lui causaient les déclarations du chancelier allemand.

Il est d’ailleurs un fait qui ne saurait passer inaperçu : c’est la présence à Berlin du prince de Galles, au lendemain même du débat sur l’interpellation Bennigsen. Quelque affection que l’héritier de la couronne d’Angleterre puisse porter à sa nièce, il est permis de croire que les fêtes d’un mariage princier ne l’appelaient pas seules à Berlin, qu’il avait voulu sonder les intentions de l’empereur Guillaume et du gouvernement allemand dans le cas d’un conflit armé entre la Grande-Bretagne et la Russie. L’Angleterre peut, au même titre que la Russie, invoquer à Berlin les souvenirs de 1870, et elle n’a pas réclamé et obtenu pour prix de sa neutralité la mise à néant d’un traité européen. S’éloigne-t-on beaucoup de la vérité en pensant que cette neutralité de l’Allemagne, souhaitée par l’Autriche et réclamée par l’Angleterre, est aussi la limite des services que M. de Bismarck pourra rendre à la Russie ? En outre, quelques indices donnent à croire que le chancelier a dû désapprouver certaines des exigences de la Russie. Quand, le 19 février, il résumait les demandes de cette puissance pour établir qu’elles ne lésaient aucun des intérêts de l’Allemagne, il parlait d’après les préliminaires qui étaient arrivés à sa connaissance le