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La première qualité d’un édifice, c’est que sa forme générale et le caractère de sa décoration indiquent tout d’abord la nature des besoins auxquels il répond, de la force qui en a été comme l’âme secrète et cachée. Toute œuvre de l’homme est une pensée réalisée au moyen de la matière. Que l’œuvre, consiste en mots écrits ou prononcés, en couleurs et en traits du crayon et du ciseau, ou bien en pierres amoncelées, elle doit traduire clairement une idée, elle en est le signe sensible. Les pierres florentines, à notre sens, ne parlent pas toujours une langue assez claire. C’est quelque chose de bizarre et de peu conforme à la raison, par conséquent d’obscur et d’embarrassant, qu’une église qui a la forme d’une tour carrée, qu’un palais qui fait l’effet d’une gigantesque paroi de roche façonnée au ciseau et percée de portes et de fenêtres, enfin qu’un hôtel de ville qui ressemble à un château-fort.

Le Palais-Vieux, et c’est là son défaut, ne nous représente donc qu’une des faces de la vie florentine d’autrefois ; il nous en rappelle les agitations et les violences, mais il ne nous dit rien de ces institutions démocratiques auxquelles Florence, à travers tant de troubles, resta si obstinément attachée pendant plusieurs siècles, de cet idéal qu’elle poursuivit sans jamais réussir à le fixer. Le palais où est maintenant établi le Musée national a, dans de moindres proportions, le même aspect général ; mais il répond, d’une manière plus complète, à sa destination première et à toute son histoire. Avant tout, c’est une forteresse ; mais c’est bien une forteresse que devaient habiter les magistrats pour lesquels il fut construit et plusieurs fois réparé. Ce fut d’abord le capitaine du peuple, chef révolutionnaire que les Guelfes victorieux avaient chargé de les garantir, par des proscriptions et des confiscations, contre tout retour offensif de la faction vaincue. Ce fut ensuite le podestat, ce juge suprême dans lequel Florence, comme plusieurs autres cités italiennes, avait cru trouver un arbitre placé, par sa qualité même d’étranger, au-dessus des affections et des haines de famille, au-dessus de toutes les intrigues et de toutes les passions locales. Ce fut enfin, cet expédient une fois mis de côté, le bargello, sorte de préfet de police chargé de maintenir l’ordre et de donner suite aux décisions de la seigneurie et aux arrêts des tribunaux ; il avait là des cachots, on y donnait la torture, on y rendait et on y exécutait des sentences capitales. Plus d’un malheureux fut mis à mort dans cette cour d’une élégance sévère où le visiteur s’arrête maintenant pour admirer le puits à margelle de marbre qui en forme le centre, le portique qui en fait le tour, le large escalier qui, dans l’un des angles, donne accès à la belle loggia d’Orcagna et aux salles du premier étage. De là ces noms de palais du podestat et de palais du bargello ou, par abréviation, de bargello, qui sont restés en