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qu’ils se sont inspirés des traditions et des exemples de la sculpture florentine. Sans doute ils n’ont pas cessé d’être de leur pays et de leur siècle, d’en traduire avec fidélité et parfois avec un singulier éclat les sentimens et les pensées ; il n’en est pas moins vrai que telle de leurs œuvres, le Chanteur florentin et le Saint Jean-Baptiste, le David vainqueur de Goliath, ne surprendraient personne si demain on les exposait à Florence, dans une des salles du Musée national, avec cette inscription : Auteur inconnu, XVe siècle ou commencement du XVIe. D’autres de leurs ouvrages, peut-être encore supérieurs, auront, de par leur sujet même, un caractère plus moderne, plus actuel ; ainsi les Figures du tombeau de Lamoricière et le Gloria victis ; mais là encore l’œil des gens du métier reconnaîtra ce même cachet de style et de facture.

Est-ce là, dans notre pensée, un blâme et un reproche ? Non certes. Notre temps a trop fait de critique et d’histoire, il sait trop pour que le poète ou l’artiste puisse prétendre aujourd’hui, sans quelque fatuité, à l’honneur d’être tout à fait naïf. De nos jours, qu’on se le dissimule ou qu’on l’avoue à soi-même et aux autres, on ne pourra se défendre de nourrir quelque secrète préférence pour un des grands modèles, pour un des grands styles du passé, et, parfois sans même en avoir conscience, on tendra sans cesse à s’en rapprocher. Dans ces conditions, un homme de notre temps n’est-il pas entraîné plus naturellement à s’inspirer des exemples et de l’esprit de la renaissance qu’à tenter de remonter jusqu’au monde antique ? Sans doute nous différons à plus d’un titre des générations qui ont vu finir le moyen âge et commencer l’âge moderne ; notre vie est plus laborieuse et plus compliquée, notre science est plus étendue, notre amour de l’art est moins vif et moins sincère ; à tout prendre, il y a pourtant, par la religion et les idées, par les besoins, les mœurs et le costume, il y a plus de rapports, plus de traits communs entre nous et un Italien du XVe ou du XVIe siècle qu’entre nous et un Grec d’autrefois. La Florence de Ghiberti, de Donatello et de Michel-Ange, celle que nous avons été admirer et goûter au Musée national, est moins loin de Paris que l’Athènes de Phidias et de Praxitèle.


GEORGE PERROT.