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à son tempérament fougueux. Gouberville écrit le 3 août 1553 : « Cantepye donna ung soufflet devant l’auditoire de Vallongnes au serviteur du curay de Digoville, pour ung démentyr que le dict serviteur avoyt donné au dict Cantepye. » Le 9 avril 1554 : « Cantepye battit à Cherbourg le filz de Guillaume Le Rout, parce qu’il avoyt démenty le dict Cantepye. » Le 2 octobre 1557 : « Revenant de Russy, il dist qu’il avoyt donné sur la joe à maistre Lillon, » contre lequel Gilles de Gouberville avait un procès. Quel ami dévoué ! On le voit aussi plaider pour son compte conjointement avec une sœur contre son frère Pierre Jallot, écuyer, sieur de Beaumont, pour réclamation d’une somme de 107 solz, que Jallot lui avait prêtée pour faire enterrer leur mère. Un singulier procès, on le voit ! Cantepye, nature entreprenante, aventureuse, habile aussi et calculatrice, a du vrai sang normand dans les veines : il eût été un digne compagnon de Robert Guiscard. Il s’embarque pour courir l’aventure contre les Flamands, puis revient ; il possède plusieurs propriétés, les exploite, laboure lui-même, se fait nommer en outre à une place de greffier, et suffit à tout. Je ne dirai rien des autres hôtes du manoir, Jacques et Noël, frères de Symonnet, peut-être bien de Gouberville, mais le fait est plus douteux. Il y a encore le fidèle Lajoie, sorte de valet de chambre, attaché à la personne du sire de Gouberville lui-même, mais qui s’occupe aussi de la ferme, et dont ce journal ne laisse deviner qu’un défaut, celui de trop aimer le jeu de boule. Mais je reviens à notre châtelain.

Gilles de Gouberville ne devait pas imiter sa sœur Guillemette dans ses idées matrimoniales ; il resta célibataire, tout au moins jusqu’en 1562, car sa destinée nous échappe ensuite. La vocation semble lui avoir manqué pour prendre le grand parti du mariage ; peut-être aussi céda-t-il à de trop prévoyans calculs dans une situation qui ne paraît pas avoir été au début exempte de quelque embarras d’argent. Son journal en fait foi. Il prétend qu’il lui manqua trente écus pour mettre ce dessein à exécution, et qu’il ne put les trouver ni dans sa bourse, ni dans celle de son oncle, ce bon curé de Russy qui avait béni le mariage de Guillemette. « Le 11 septembre 1556, Girot Maillard revinst de Russy, où il estoit allé lundi, et m’apporta des lettres de mon oncle, guarnies d’un bel esconduisement de me prêter trente escus seullement, pour m’aler marier. » Ces derniers mots n’indiquent pas un désir très excité. Peut-être le refus de l’oncle s’explique-t-il par un doute trop fondé sur les sérieuses dispositions du neveu. Celui-ci se borne à noter mélancoliquement les 7 solz que son serviteur Girod Maillard a dépensés pour un voyage infructueux. Voilà tout ce qu’il témoigne de ses regrets. Pourtant il ne nous laisse pas ignorer qu’on