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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/174

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Il en faisait grand usage. Si j’ajoute qu’il les payait 12 francs la paire, j’aurai donné une preuve de plus que tout ce qui était de luxe coûtait alors un prix sans aucune proportion avec la masse des objets usuels.

Je n’ai pas encore parlé de la table. Au Mesnil-au-Val, elle était, pour le maître, fort copieuse et assez variée, abondante pour les serviteurs. Quant au pain, c’est un des traits de la charité de ce bon sire qu’il n’en achetait de choix que pour les malades. Pour lui, il se contentait aux jours ordinaires d’un pain moins recherché, qu’il partageait avec ses serviteurs. Il faisait moudre son grain au moulin et faisait cuire chez lui, ayant eu soin de se procurer du levain à Valognes. Lorsque « on n’avoyt peu loysir de cuyre, » le boulanger Jehan Parys lui fournissait une tourte de pain pesant 12 livres moyennant trois francs (j’emploierai plus d’une fois cette désignation en francs actuels au lieu de souz). Il payait le pain plus cher lorsqu’il attendait certains convives, par exemple un de ses commensaux les plus habituels, et fine bouche, le curé de Cherbourg. À son manoir de Russy, où il réside bien moins qu’au Mesnil-au-Val, il faisait acheter à Bayeux du pain de chapitre pour recevoir M. de Heurtebie et quelques autres bons voisins. Il offrait à Mme Drouet, dont le goût était plus recherché encore, une miche fresche, fine fleur de farine, pour manger avec le poisson. C’est ainsi que les notes du bon sire révèlent pour ses convives plus d’une attention délicate. Il fait pourtant peu mention de pâtisseries, si ce n’est régulièrement à la date traditionnelle du gâteau des rois. On trouve au manoir force pâtés de venaison, mais la pâtisserie fine paraît absente ; les desserts sont réduits aux fromages, au miel, aux fruits frais et secs ; on trouve des oranges et des grenades dans ce manoir privilégié, auquel la navigation apportait ces fruits du midi, avec des sortes de vins très variées, bien qu’il n’y eût pas de cave au Mesnil-au-Val ; on s’approvisionnait à Cherbourg.

On visait au solide en fait de nourriture. Tantôt Gouberville fait tuer chez lui le gros bétail ou les moutons, tantôt il achète à la ville les morceaux de choix, mais on n’en trouvait pas toujours. Le 9 avril 1554, il a y avait ni bœuf ni mouton à la boucherie de Cherbourg ; celui qu’il y avait envoyé y achetait la moitié d’un veau et une livre de chandelle, principal éclairage du château. Le tout est marqué 8 francs ; or la chandelle coûtant 2 de nos francs la livre, cela met la moitié du veau à 6, ce qui est bien le prix ordinaire qu’on retrouve indiqué à plusieurs reprises. Le chevreau était fort recherché. On le servait seulement aux grands jours pour l’offrir à tel personnage, au receveur des tailles, ou encore à telle dame un peu gourmande comme Mme de Bricquebec, qui en raffolait. Pour l’usage ordinaire, le porc était alors un objet de très grande