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notre châtelain se donnait le passe-temps de la pêche, prenant barbues, plies, anguilles, ce qui lui donne occasion de décrire les engins de pêche alors usités. Ce goût de tout écrire et de tout décrire a quelque chose qui confond. A qui Gouberville adressait-il ces notes innombrables ? Était-ce à ses enfans pour qu’ils gardassent un témoignage de lui-même après sa mort ? Mais il n’avait pas d’enfans. Était-ce à la postérité ? Il n’y songeait guère. Tout ce qu’on peut conclure, c’est que le besoin d’écrire dans la solitude devient une passion pour certaines natures, et que Gouberville était une de celles-là. De nos jours il aurait écrit des mémoires, probablement moins intéressans que ses notes.

L’agriculteur dans Gouberville mériterait une étude qui serait celle même de l’agriculture dans ses procédés les plus avancés à cette époque. M. Tollemer tire du manuscrit, avec l’indication des productions végétales qui existaient, quelques inductions sur celles qui semblent avoir manqué alors à cette partie de la France. On trouve parmi les arbres fruitiers, outre le pommier et le poirier, le néflier, connu encore aujourd’hui sous le nom de meslier, le châtaignier, le cerisier : la vigne est cultivée au Mesnit ; nulle mention de la prune, de l’abricot, de la pêche, de la figue, de la fraise, de la framboise, de la groseille. Le potager est très abondant et très soigné : il y a profusion de pois et de fèves, il n’est pas question dans le journal de l’oseille, du céleri, des salsifis, des raves, des haricots. La rose et l’œillet composent à peu près tout le parterre du manoir. Les instrumens aratoires et de jardinage nous font connaître l’outillage agricole et horticole de ce temps. La plupart sont fabriqués au manoir, dont Gilles de Gouberville avait fait pour bien des objets usuels une véritable manufacture. Il faisait pourtant acheter à Saint-Lô, renommé pour ce genre de fabrication, charrues et faucilles. Les engrais sont très employés : il nomme le fumier, la fiente des colombiers, le varech, le sable de mer, le compost, mélange de substances diverses, les brûlins ou cendres, et la chaux. Le terrain de ce domaine avait besoin d’être mis en état pour la culture : les débris de racines l’obstruaient ; il fallut essarter, avec quelle peine, les charrues qui se rompent nous l’annoncent ; il emploie tous les garçons du pays à ôter les cailloux. Il cultive le froment, le trémois ou blé de mars, l’orge, l’avoine, le sarrasin. Cette dernière culture commençait à peine à se développer. Il cultivait le seigle à sa terre de Gouberville, non au Mesnil. La taupe faisait ravage ; aussi payait-il le taupier à un prix exorbitant, selon le nombre des prises probablement. Pendant la récolte, on payait comme aujourd’hui les ouvriers plus cher. Le salaire d’un faucheur était de 3 francs, Gouberville ajoutait du pain et de la bière, souvent de la viande. outre les ouvriers à la journée, il avait aussi ses corvéables. Ceux-ci