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plus riche et le mieux doué par la nature est toujours faible. Les Romains, qui presque en toutes choses étaient inférieurs au Grecs, durent leur supériorité de force à leur organisation compacte, à l’art qu’ils mirent à s’agrandir incessamment sans porter atteinte à leur unité. Cet art, ils surent en user aussi avec les pays conquis : quand ils n’espéraient pas se les assimiler, ils ne faisaient que leur donner des chefs politiques et militaires et leur imposer un tribut. À ces conditions, les peuples soumis conservaient leurs administrations locales, leurs lois civiles, presque toutes leurs institutions et la plus grande liberté de penser. Aussi la domination romaine n’exerça-t-elle qu’une action médiocre sur les populations orientales et ne troubla-t-elle qu’à la superficie le mouvement naturel de la civilisation hellénique. L’ancienne Grèce tomba seule dans le dénûment. Déjà, abandonnée de ses propres enfans qui étaient passés en Asie, elle eut l’extrême imprudence de prendre parti dans les querelles politiques des Romains et de vouloir se mesurer avec l’énorme puissance italienne. Corinthe, Athènes et d’autres villes furent saccagées, les Romains dépouillèrent le pays des chefs-d’œuvre sans nombre dont le génie de ses artistes l’avait peuplé ; ils fouillèrent ses tombeaux, ils emportèrent jusqu’aux colonnes de ses temples. La Grèce dépeuplée fut pour eux comme un désert autrefois habité par un grand peuple et où chacun, suivant sa fantaisie, allait chercher des objets d’art ou de curiosité laissés sans possesseur.


II

Pendant ce temps, un changement d’une autre nature s’accomplissait peu à peu au sein même de l’hellénisme. M. Paparrigopoulo, dont la foi religieuse est aussi incontestable que la liberté de son jugement, ne croit pas que le christianisme se soit montré tout à coup comme une apparition magique au milieu du monde oriental. Il le considère comme préparé de longue main par l’esprit grec, qui s’acheminait vers l’unité de Dieu, et né du contact intime des doctrines de la Grèce et des religions de l’Asie. Seulement il attribue dans sa formation la plus grande part à l’hellénisme. La personne de Jésus n’est jamais en cause dans son livre ; mais il montre que les doctrines fondamentales de la nouvelle religion avaient été émises et adoptées dans la société, hellénique longtemps avant la venue du Christ. Ces doctrines s’étaient formées par une évolution naturelle des anciennes religions et des philosophies grecques, Elles s’affirmèrent définitivement lorsqu’elles furent en contact avec celles de l’Orient et particulièrement avec le monothéisme des Juifs. Les Séleucides avaient en effet tenté d’helléniser ces derniers et y avaient en grande partie réussi ; mais,