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incident a inquiété les hommes courageux qui veillaient sur le grand établissement de la rue de La Vrillière ; ces incidens, nous allons essayer de les raconter, et ce sera pour nous une sorte de soulagement, car, au milieu de la sanglante bacchanale de la commune, ce qui s’est passé à la Banque de France ressemble presque à une idylle.


I. — PENDANT LA GUERRE.

Dès que nos frontières de l’est ouvertes et envahies eurent livré passage aux nombreuses armées allemandes qui avaient coupé nos communications militaires et refoulaient nos forces insuffisantes, la Banque de France fit refluer vers la caisse centrale de Paris toutes les valeurs métalliques, fiduciaires ou représentatives qui se trouvaient dans les succursales provinciales menacées. Ce premier devoir accompli, d’enlever à l’ennemi « le nerf de la guerre » et de sauvegarder les intérêts qui lui étaient confiés, la Banque s’occupa d’un autre soin qui ne paraissait pas moins urgent. Il n’était plus douteux que la situation devenait d’une gravité redoutable. Bazaine luttait sous Metz, non sans gloire, mais sans résultat ; les débris de l’armée de Mac-Mahon rassemblée à Châlons, augmentés par des mobiles sans instruction, renforcés de régimens incomplets que l’on attirait en toute hâte, pouvaient livrer bataille à l’Allemand, mais n’étaient point de force à l’arrêter. Il était facile de prévoir, presque à date précise, l’heure douloureuse où Paris serait peut-être l’objet d’un coup de main qui, grâce à l’un de ces mille hasards dont sont faits les succès à la guerre, pourrait ne pas échouer. À ce moment, l’encaisse métallique de la Banque était énorme, et c’était une proie qu’il fallait soustraire aux réquisitions forcées que l’Allemagne n’eût pas manqué d’imposer à Paris, si elle y fût entrée de haute lutte. Où porter ces sacs, ces lingots d’or, ces barres d’argent, ces monnaies de toute sorte et de toute valeur ? Ce fut l’amiral Rigault de Genouilly qui indiqua lui-même l’endroit où toutes ces richesses devaient être transférées. Dans une correspondance secrète qu’il libella de sa ferme et grosse écriture, il adressa ses ordres à l’un de ses préfets maritimes, prévit les éventualités et détailla si bien ses instructions que, si l’armée prussienne s’était emparée de la ville désignée par l’amiral, elle n’eût trouvé ni la réserve de la Banque, ni les diamans de la couronne, ni les principaux tableaux du musée du Louvre, que l’on avait réunis dans un lieu bien choisi, à l’insu même de ceux qui avaient mission de les garder.

La Banque se hâtait, car l’opération fut longue ; il est à remarquer que celle-ci fut tenue secrète malgré le nombre considérable de personnes qui y furent nécessairement associées : d’abord les layetiers