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qui fabriquaient les caisses et qui les marquaient en souriant d’un avertissement majuscule : Attention ! Projectiles explosibles ; ensuite les garçons de recette, « les habits gris, » — les plus honnêtes gens du monde, — entre les mains desquels glissait ce Pactole ; puis les convoyeurs vêtus à la diable, ayant quitté le compromettant uniforme de la Banque, qui montaient sur les fourgons et les escortaient jusqu’aux gares de chemins de fer. Tout ce monde garda le silence et fit acte de dévoûment professionnel. À cette heure de suspicion, de passion et de colère, quelles clameurs, si l’on eût reconnu une de ces voitures emportant quelques millions ! quelles nouvelles trahisons on eût découvertes et comme lestement on eût accusé le pouvoir, le corps législatif, les généraux de vouloir affamer Paris ! Nul n’en sut rien, et, lorsque l’on révéla le fait à la population parisienne, c’était pour lui prouver, aux mauvais jours de la commune, qu’il n’y avait plus rien dans cette caisse de la Banque qu’elle voulait visiter avec trop de curiosité. Du 20 août jusqu’au 13 septembre, le travail ne chôma pas rue de La Vrillière ; nuit et jour, on fut sur pied, et lorsque l’ennemi apparut sur les hauteurs qui commandent les approches de Paris, l’encaisse métallique était hors d’atteinte. Il avait fallu 500 « colliers » pour la transporter de la Banque aux chemins de fer, car elle était lourde, pesait 1,238,260 kilogrammes et représentait 520 millions en métal. Sait-on combien de caisses avaient été nécessaires pour contenir cette fortune ? — 24,855. — On obtint que les layetiers qui y travaillaient fussent momentanément exemptés du service de la garde nationale ; ce fut là encore l’occasion d’une négociation qui fut conduite sous le manteau et resta ignorée.

En même temps que la Banque se préparait à aider la France à lutter jusqu’à épuisement en se faisant sa trésorière générale et en lui abandonnant, sans marchander, les ressources financières qu’elle tenait en réserve, elle n’hésitait pas à mettre son personnel au service de la défense de Paris. Soixante-dix employés du chef-lieu et des succursales avaient rejoint l’armée active ou étaient incorporés dans la garde mobile ; mais cela ne parut pas suffisant, et l’on forma rue de La Vrillière deux fortes compagnies de gardes nationaux, qui, sous les numéros 7 et 8, entrèrent dans la composition du 12e bataillon du premier arrondissement. Ces deux compagnies fournirent des détachemens pour le service des bastions et occupèrent le poste même de la Banque où tant d’intérêts devaient être protégés,. Le personnel élut ses officiers ; de part et d’autre, il y eut abnégation et discernement, car je vois que M. Léon Chazal, contrôleur principal, faisait fonctions de simple soldat. Le capitaine en premier, celui auquel les deux compagnies obéissaient, était un