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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/337

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II

Existe-t-il un remède, universel et absolu comme le mal de l’existence qu’il doit combattre ? Est-il d’une efficacité sûre, ? Est-il d’une application facile ? On verra qu’il n’est pas si aisé qu’on pourrait le croire de convertir l’être en néant : l’être résiste à toutes les tentatives de ce genre par une force indomptable dont les deux types sont dans l’ordre physique l’indestructibilité de l’atome, dans l’ordre moral la persistance du vouloir-vivre. Comment donc opérer « ce passage de la sensibilité et du vouloir à l’insensibilité du non-vouloir et du non-être absolu ? » C’est ce que M. de Hartmann se demande, sans se dissimuler la difficulté du problème. Il n’en essaie pas moins de franchir ce formidable passage, à la suite de Schopenhauer, et vingt-quatre siècles après une tentative analogue, celle que marque dans l’histoire religieuse de l’Orient le nom du Bouddha. M. de Hartmann a-t-il mieux réussi que ses prédécesseurs dans ces voies étranges et périlleuses pour la raison ? Nos lecteurs en jugeront. Il nous a paru curieux de mettre en regard les trois solutions proposées sur l’anéantissement de l’être avec les commentaires et les critiques que chacune d’elles a soulevés, celle de Çakya-Mouni, rectifiée par Schopenhauer, celle de Schopenhauer détruite et remplacée par Hartmann. Nous verrons si la solution que nous offre la philosophie nouvelle de l’Inconscient présente moins de difficultés que les deux autres et soulève moins d’objections. Après tout, quand il s’agit de saisir toutes les énergies de la volonté humaine, toutes les forces de la nature, de les détourner de leur aspiration à l’être et de les retourner tout d’une pièce vers le néant, il est à craindre que les esprits ne se montrent quelque peu indociles, et l’on nous accordera bien qu’en pareille matière ils ont droit d’être exigeans. Au terme de cet examen comparé, une conclusion s’imposera à nous : c’est qu’en définitive il est bien difficile à l’univers de mourir, soit qu’on n’ait pas trouvé de bonnes raisons pour l’y déterminer ni le moyen de les lui faire entendre, soit que le procédé fasse défaut pour lui procurer le bienfait de cet anéantissement. Il est relativement aisé de démontrer les souffrances de l’être et la nécessité d’en finir ; c’est le procédé d’exécution qui laisse encore bien à désirer, même après ces trois grandes tentatives.

Qu’on le remarque : il ne s’agit ni pour le bouddhiste, ni pour le pessimiste, fatigué de la vie, de mourir purement et simplement : se tuer est en vérité trop facile et ne résout rien. D’abord le suicide « nie l’individu, non l’espèce, » que l’individu ne peut tuer avec lui ; encore moins nie-t-il la nature ; à bien voir les choses, il ne