Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord les marrons du feu, sauf ensuite à crier au voleur, quand il fut une fois rassasié. Ce grand redresseur de torts, courtisan des frères Pâris, gagna leur faveur en commettant contre la chambre de justice, instituée dans les premiers jours de la régence, une ode plus plate que les plus plates de Jean-Baptiste Rousseau. Ce fut même à titre de client des Paris qu’il eut le bonheur d’échapper aux ardeurs de cette fièvre de l’or que Law inocula deux ans à la nation tout entière. Ce grand railleur des financiers traversa le corridor de la tentation et commença par tripoter dans les vivres et dans les fournitures militaires, s’interposant dans les marchés, brassant ces affaires que l’on négocie sous le manteau, recevant force pots-de-vin, et tondant de près les fournisseurs que lui livraient ses bons amis de cour. Si l’infanterie de Rosbach n’avait « ni subsistances ni souliers, » si la moitié de la cavalerie « manquait de bottes » et si l’armée ne vivait « que de maraudes exécrables, » c’est un ministre qui parle ainsi, n’est-il pas plaisant d’apprendre que Voltaire en a sa part de responsabilité ? Bien plus, l’auteur de l’Homme aux quarante écus fut une façon d’accapareur, en son temps, et, comme un simple roi de France, il spécula sur les grains, à son heure, c’est-à-dire sinon sur la famine, au moins sur la disette. Mieux vaudrait pour sa réputation qu’il eût rançonné ses libraires. Sans doute il prêtait beaucoup : aux grands seigneurs par préférence et sur bonne hypothèque. Les Guise, les Richelieu, figurèrent parmi ses débiteurs, et l’on doit même à la vérité de convenir qu’ils ne payaient pas leurs arrérages avec une très scrupuleuse exactitude. Les apologistes de parti-pris n’insistent guère que sur ce chapitre de ses opérations de finances : trop heureuse occasion de médire d’un Guise ou d’un Richelieu. Mais le capital que Voltaire plaçait de la sorte, et presque toujours en viager, spéculant sur son apparence maladive et sur sa santé chancelante, peut-être fallait-il bien qu’il l’eût gagné quelque part, puisqu’il ne l’avait pas trouvé dans la succession paternelle. Il y a dans le Barbier de Séville une réplique célèbre de Figaro. Le comte Almaviva lui explique brièvement le service qu’il rend à la morale en enlevant Rosine au docteur Bartholo : « Faire à la fois le bien public et particulier, chef-d’œuvre de morale, en vérité, monseigneur. » Voltaire a décidément excellé dans cet art délicat ; mais à cent ans de distance, il convient d’ouvrir les yeux et de reconnaître que ce précurseur des principes de 1789 avait une singulière façon de faire fortune.

Je cherche en vain : de quelque côté que je le regarde, je vois un homme qui tourne au vent du jour, d’ailleurs qui ne fréquente que chez les grands, qui ne prend ses amours même que dans un monde aristocratique et non pas un enfant, mais un homme de