Strauss que la faute en fut entièrement à Voltaire et que Frédéric « l’aurait supporté et choyé avec la magnanimité d’un roi autant qu’avec l’indulgence d’un ami. » Non ! le siège de Frédéric était fait. Il avait besoin de Voltaire « pour l’étude de l’élocution française, » c’est lui-même qui le dit, ajoutant avec son cynisme ordinaire : « On peut apprendre de bonnes choses d’un scélérat : je veux savoir son français. » Sa magnanimité lésina sur les frais. Son indulgence mesura parcimonieusement au poète le café, le sucre et la chandelle. Et, s’il le choya, ce fut comme on fait une pièce rare ou quelque animal favori. Mais il faut convenir que Voltaire, de son côté, ne faillit pas à commettre une seule des fautes qui pouvaient affermir Frédéric dans ces dispositions.
Réflexions imprudentes et mordantes à l’adresse du roi lui-même, plaisanteries, personnalités injurieuses à l’adresse des membres de son académie, exigences tyranniques et déplacées, intervention maladroite, indiscrète dans les affaires qui le regardaient le moins, étalage vaniteux d’un crédit dont le roi lui refusait la réalité, spéculations douteuses, tripotages d’argent, procès scandaleux, rien n’y manqua. Frédéric perdit patience, et dans les premiers jours de 1751 peu s’en fallut que, comme un serviteur infidèle, Voltaire ne fût chassé des états de sa majesté prussienne. Mais il avait tant de soumissions, il maniait si bien le langage de la flatterie, son repentir amoureux se traduisait par tant de caresses et de câlineries que le roi s’apaisa pour une première fois et que la concorde parut un instant rétablie. Le moyen de résister à cet illustre écrivain, le plus illustre de l’Europe, qui trouvait dans les maladies mêmes du prince et jusque dans les remèdes qu’il faisait une façon de renouveler la banalité des flagorneries ordinaires ? « Sire, vous avez des crampes, et moi aussi ; vous aimez la solitude, et moi aussi ; vous faites des vers et de la prose, et moi aussi ; vous prenez médecine, et moi aussi ; de là je conclus que j’étais fait pour mourir aux pieds de votre majesté. » Et quand il avait tourné quelqu’un de ces billets bien humbles, quand il avait à ce prix acheté son pardon, il prenait la plume pour écrire à Paris : « Figurez-vous combien il est plaisant d’être libre chez un roi, de penser, d’écrire, de dire tout ce qu’on veut. La gêne de l’âme m’a toujours paru un supplice. Savez-vous que vous étiez des esclaves, à Sceaux et à Anet ? oui, des esclaves en comparaison de la liberté que l’on goûte à Potsdam, avec un roi qui a gagné cinq batailles. » Car c’était là le vrai motif de tant de patience. Il voulait qu’à Paris, il voulait qu’à Versailles surtout on crût qu’il vivait dans la confiance d’un roi, qu’il jouissait à Berlin de toutes les grâces, de toutes les faveurs, de tout le crédit que lui disputait encore son ingrate patrie. Trop heureux si là-bas, au bruit de ces