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dans l’enceinte du dogme, se trouve pratiquement abrogée, l’autorité a envahi tout le domaine de la pensée, l’unité effacé toute variété. Toute science ecclésiastique semble devenue inutile, il ne reste plus de place à la théologie ; ce qu’on appelle encore de ce nom n’est qu’une étude de mémoire, une compilation des actes des papes. Depuis Pie IX, il n’y a plus réellement dans l’église qu’un maître de la foi, il n’y a qu’un docteur, comme il n’y a qu’un pasteur.

On sait quelles appréhensions a, dans plusieurs états, soulevées le dogme de l’infaillibilité du pape. L’ombre de cette gigantesque puissance a paru s’étendre sur la société civile, et les pouvoirs laïques en ont été offusqués. Des politiques tels que M. Gladstone et M. de Bismarck y ont vu un danger permanent pour l’état, une menace pour l’indépendance civile. A beaucoup d’esprits, à la plupart des protestans ou des schismatiques orthodoxes, la chaire romaine a paru d’une grandeur démesurée, incompatible avec notre civilisation, hors de proportion avec l’humanité. « Savez-vous, me disait en vue d’Athènes et de l’Acropole, entre l’île de Salamine et l’île d’Égine, un étranger qui traversait avec moi le beau golfe Saronique, savez-vous à quoi me fait songer le pape infaillible ? La papauté me rappelle cette statue colossale, cette Minerve de Phidias élevée là-bas sur l’Acropole et trop grande pour tenir en aucun temple. Elle dominait de la tête le Parthénon et les Propylées, et les marins l’apercevaient du cap Sunium par-dessus le faîte des temples de marbre. Telle me semble la papauté, elle domine de toute sa taille l’église devenue trop petite pour la contenir, elle l’écrase de sa hauteur, elle dépasse le monde. Elle est trop grande et trop lourde pour la terre qui la porte, trop haute pour l’humanité. Où dans notre société, où dans nos états modernes, trouver la place d’un tel colosse ? » Ainsi disent, ainsi pensent bien des esprits contemporains. En élevant si haut la chaire papale, Pie IX semble l’avoir mise en dehors de la nature, en dehors des conditions normales de l’existence, il en a, sans le vouloir, rendu la position plus difficile, plus précaire dans le monde. Si la papauté ainsi grandie en impose davantage aux fidèles, elle heurte davantage le siècle, elle soulève davantage les craintes ou les défiances des peuples ou des gouvernemens. L’infaillibilité a mis aux mains des adversaires de l’église un épouvantail dont ils se servent contre elle.

Pie IX a porté la papauté au point culminant de son omnipotence spirituelle ; l’avenir montrera s’il n’y a pas une faiblesse dans cet empire absolu des consciences, dans cette domination incontestée de l’église. L’infaillibilité implique l’immutabilité : pour une institution vivante, pour une succession de pontifes divers, changeans, variables, c’est là une pesante couronne ; elle