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l’exemption d’erreur prenait un aspect plus merveilleux, l’infaillibilité pontificale mettait mieux en relief les mystérieuses relations du Christ et de son épouse. Les conciles pouvaient être considérés comme les assises de l’église, comme une sorte de congrès religieux, et les évêques des différentes contrées comme les gardiens de la tradition, comme des témoins qui venaient déposer de la foi universelle. Transférée à une seule personne mortelle et changeante, cette souveraine prérogative a pris un caractère plus manifestement surnaturel et miraculeux, plus étonnant pour la raison humaine. Remplacés à de courts intervalles, et ne se succédant qu’après un interrègne, les souverains pontifes ne sauraient être regardés comme les dépositaires d’une tradition ininterrompue. C’est du ciel, c’est de l’inspiration divine, qu’ils tiennent directement leur infaillibilité ; désormais le catholique est tenu de se représenter la papauté, comme le moyen âge représentait le pape Grégoire le Grand, avec le Saint-Esprit sous forme d’une colombe qui lui parle à l’oreille.

Ce qu’ont ajouté au credo catholique les pères du dernier concile, ce n’est pas un simple article de foi, c’est en réalité une série indéfinie de croyances obligatoires. Le dogme de l’infaillibilité papale en contenait virtuellement une foule d’autres ; il a une valeur rétrospective, érigeant en article de foi tout ce que les papes ont enseigné dans le passé aussi bien que ce qu’ils peuvent enseigner dans l’avenir. Le champ déjà si vaste du dogme catholique se trouve ainsi tellement élargi qu’il est devenu impossible d’en marquer les bornes. Au lieu d’un credo écrit, formulé par les conciles, l’église possède aujourd’hui dans la papauté une sorte de credo vivant. Pour le catholique, il n’y a plus d’autre règle de foi que de croire au pape, que d’être soumis au pape. L’union à Rome est plus que jamais tout le catholicisme, et depuis 1870 tout schisme est devenu une hérésie.

Pour que la parole du successeur de saint Pierre soit exempte d’erreur, il suffit qu’elle soit prononcée ex cathedra, c’est-à-dire avec une certaine solennité, avec certaines formalités que la cour de Rome est maîtresse de fixer. Pour que la conscience des fidèles s’incline devant le Vatican, il n’est même pas besoin que le saint-père prétende user de cette suprême prérogative et enseigner ex cathedra. Aux yeux de la masse des fidèles, l’infaillibilité est comme une lumière trop vive dont les rayons se projettent sur tous les actes et les discours du pape ; l’éclat en éblouit et aveugle les regards des croyans. Bien qu’elle lui soit personnelle, cette céleste auréole se reflète sur tout ce qui entoure le pape, spécialement sur les congrégations romaines, qui écrivent, qui parlent, qui jugent, qui condamnent pour lui. L’ancienne liberté, laissée aux catholiques