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pour le grand combat contre le monde issu de la révolution. Rien donc d’étonnant si Pie IX a ramassé, dans les encycliques ou les allocutions pontificales, tout ce qui proscrit et réprouve les idées modernes, pour en faire, sous le nom de Syllabus, une sorte de manuel officiel et de catéchisme de l’erreur, s’il a rassemblé les condamnations éparses et codifié les anathèmes, pour les jeter à la face du siècle, au risque de fournir des armes à ses ennemis et de fermer à ses successeurs la porte de la conciliation.

Dans la fièvre de la lutte, Pie IX ne s’est pas aperçu qu’il prêtait le concours de sa parole infaillible aux pires adversaires de l’église. Que disent aujourd’hui, que répètent depuis le XVIIIe siècle et la révolution les ennemis déclarés du christianisme ? Ils maintiennent que la foi chrétienne, que la foi catholique en particulier est incompatible avec la société et la civilisation moderne, avec la liberté et la démocratie ; ils disent aux peuples : Choisissez entre le progrès civil et les croyances du passé, entre les convictions du citoyen et les espérances du chrétien, car vous ne sauriez les allier ensemble. Ce terrible dilemme, l’ultramontanisme contemporain l’a, par la bouche de Pie IX, pris à son compte ; lui aussi n’a cessé de répéter : Faites votre choix entre l’église et la révolution, car entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres, il n’y a pas de transaction possible. Avec Pie IX, la papauté semblait ainsi justifier les ennemis irréconciliables du christianisme, elle semblait d’accord avec eux sur le point qu’elle eût eu le plus d’intérêt à leur contester.

Il y avait en France, en Italie, en Allemagne, des hommes généreux, remarquables par le talent comme par la vertu, laïques et prêtres, qui avaient rêvé de concilier la foi catholique avec les libertés publiques. On les appelait des catholiques libéraux : c’étaient, en France, Montalembert, Lacordaire, Gratry. Le jour où Pie IX reçut l’anneau du pécheur sembla l’aurore de leur triomphe ; aucuns catholiques n’ont au XIXe siècle montré plus de zèle pour la foi, pour la chaire de saint Pierre, pour le fragile trône pontifical : tout ce dévoûment, parfois inconséquent, n’a pas trouvé grâce pour eux auprès de Pie IX. Ils se sont vu désavouer et renier, ils se sont entendu traiter de peste et de fléau, par le pontife qu’ils avaient tant acclamé et dont ils avaient tout espéré. Les plus prudens ou les plus politiques ont dû fermer la bouche ou rétracter leurs nobles erreurs ; les plus ardens ou les plus convaincus sont morts dans le doute ou le désespoir. Aux yeux de l’ultramontain, ils avaient entrepris l’œuvre la plus dangereuse, entrepris de jeter un pont entre la vérité et l’erreur pour aplanir le passage de l’une à l’autre. Le catholicisme libéral a été condamné comme une hérésie d’une nouvelle sorte, et plus pernicieuse que les autres parce qu’elle se