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probablement dans une intention de paix ! C’est une fantaisie de représailles rétrospective qui n’a pu évidemment venir qu’à des esprits extrêmes, qui soulèverait les problèmes de la nature la plus délicate et qui aurait pour première conséquence de rouvrir presque fatalement une ère de conflits, d’agitations indéfinies. On ne voit pas que c’est tout ce qu’on pourrait faire de mieux pour démontrer que la république en est toujours à la période militante et troublée. Est-ce qu’il n’y a pas assez de questions sérieuses, faites pour occuper utilement les chambres ? Ces questions se pressent de toutes parts, dans toutes les sphères, et si on voulait les examiner pour elles-mêmes, sans les sacrifier aux préjugés de parti, elles suffiraient pour relever la vie parlementaire, pour la maintenir dans son éclat, pour lui assurer une autorité incontestée. On a là le budget de 1879 que M. Léon Say vient de présenter. On a des lois militaires dont quelques-unes sont même toujours urgentes ; on a des réformes sur l’enseignement, on a des lois sur les douanes, sur toute sorte d’intérêts positifs, pratiques, d’une importance décisive pour le développement de la fortune publique.

Que faut-il de plus ? Une des plus graves entre toutes ces questions, celle des chemins de fer, vient justement d’occuper le sénat pendant quelques jours. Ici du moins, si la politique n’a pas toujours été absente et ne pouvait l’être, la discussion a été instructive et forte. Elle a été soutenue, d’un côté par M. le ministre des travaux publics, que M. le ministre des finances a secondé un moment, d’un autre côté par M. Buffet, par M. Caillaux, par M. Bocher, qui est venu le dernier comme pour résumer la portée morale de cette épineuse affaire. Nulle diversion acrimonieuse et stérile ne s’est mêlée à ce débat, qui est resté jusqu’au bout précis, substantiel et courtois. On sentait que tout se passait entre des orateurs dignes de se mesurer. M. de Freycinet, en rencontrant des adversaires faits pour traiter sérieusement une question sérieuse, a trouvé pour lui-même une occasion nouvelle de montrer la lucide fermeté de son esprit, la netteté de sa parole, l’expérience de l’ingénieur, la confiance de l’homme résolu, et cette allure de sincérité, de franchise, qui séduit toujours une assemblée. Ce qu’il avait déjà été à la chambre des députés en répondant à M. Rouher, il l’a été dans le sénat en répondant à M. Buffet, à M. Caillaux, et maintenant il a cet avantage, qui est une forcé pour le gouvernement, d’être maître du terrain parlementaire, d’avoir la certitude qu’il rencontrera des contradictions, non des préventions, qu’il a dans tous les camps des sympathies. Du premier coup, il a pris son rang, moins par le succès définitif de sa loi que par la manière dont il a conquis le succès. Ce qui s’agitait réellement, on le sait. M. de Freycinet, comme M. Bocher le lui a dit sans esprit d’opposition, veut décorer et fortifier la république par des entreprises utiles, et c’est une très légitime ambition. Il a de grands projets qui ont été, il y a quelque temps, l’objet d’habiles rapports