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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

Les soixante-dix-neuf personnages qui, à la veille même de leur défaite, siégeaient à l’Hôtel de Ville et y légiféraient à tort et à travers, se divisaient en deux groupes principaux : d’un côté les jacobins, de l’autre les socialistes qui aimaient à se nommer les économistes. Les premiers, au nombre de cinquante-sept et formant une forte majorité qui eût fini par se désagréger, si on lui en eût laissé le temps, représentaient trois partis bien distincts : les jacobins, à la tête desquels Delescluze était placé par droit d’ancienneté, voulaient exercer le pouvoir à l’aide d’un comité de salut public ; les blanquistes, — Vaillant, Eudes, Protot, Ranvier, — qui rêvaient de donner la dictature à celui qu’ils appelaient familièrement le vieux, à Blanqui, que ses nombreuses condamnations, toutes méritées, élevaient au rang de pontife-martyr dans ce monde-là ; enfin, les hébertistes, enfans perdus de la révolte à tout prix ; le crapuleux Rigault, le torve Ferré, le bossu Vésinier, qui se réjouissaient à l’idée que l’instant était peut-être venu de saccager toute civilisation. Ce parti grouillait depuis longtemps dans les bas-fonds des brasseries du quartier latin et des cabarets de Belleville. Sous le règne de Louis-Philippe, un ouvrier nommé Constant Hilbey avait chanté Marat ; en 1865, Alphonse Rougeat l’avait célébré en deux volumes ; un an auparavant, un futur membre de la commune, malade, riche et phtisique, G. Tridon, avait bâclé une brochure boursouflée sur le père Duchesne : « Plus que les héros de musée taillés sur le patron officiel et vêtus à la grecque, plus que ces mannequins placés pour nous mettre en fuite dans le champ de l’idée, plus que ce ramas d’eunuques que l’on nous montre pour des hommes, je vous aime et vous glorifie, ô grands damnés de l’histoire[1]. » C’est d’Hébert et de ses complices qu’il s’agit. Si Paris s’est sottement laissé surprendre par la commune, il faut du moins reconnaître que les avertissemens ne lui ont pas manqué. L’idéal de ces hommes paraît avoir été d’égaler, de surpasser peut-être les septembriseurs de 1792, les fous furieux de la ligue, les tueurs de la Saint-Barthélemy, les Bourguignons de 1418 et les maillotins de 1382.

La minorité, composée de vingt-deux membres qui parfois luttèrent, non sans courage, contre l’oppression de la majorité, était, en grande partie, empruntée aux adhérens de l’Internationale, auxquels s’étaient mêlés des rêvasseurs habitués à prendre leurs chimères pour des idées. Ce petit groupe était beaucoup plus divisé que le premier : communistes, communahstes, mutuellistes, débris des sectes socialistes qui firent parler d’elles à la fin de la

  1. Les Hébertistes : plainte contre une calomnie de l’histoire, par M. G. Tridon. Paris, 1864.