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galerie du dépôt par un passage et par une cloison vitrée. Lorsque trente ou quarante enfans, parfois plus, étaient étendus sur ces lits de camp sous la surveillance assez illusoire d’un gardien qui couchait dans le passage, ils étaient entassés les uns sur les autres, en communication constante, et il n’est pas étonnant (sans parler d’autres dangers) que les médecins de la Petite-Roquette aient constaté chez des enfans l’existence de maladies cutanées dont ils avaient contracté le germe au dépôt. Si le dépôt était autrement organisé, la première précaution à prendre pour un enfant qui entre devrait être de le baigner, et de faire fumiger ses vêtemens ; mais un pareil luxe y est inconnu. Pour répondre aux réclamations incessantes que cet état de choses soulevait, on a transporté le dortoir des enfans au premier étage, dans le bâtiment de l’infirmerie. La nouvelle salle est plus spacieuse, mieux aménagée au point de vue de certains détails de propreté, la surveillance y est plus facile ; mais au point de vue de la ventilation elle ne vaut point l’ancienne : le plafond est trop bas, les fenêtres à tabatière sont trop étroites et leur angle d’ouverture insuffisant, l’air y est étouffé, et en été la chaleur y sera insupportable. Quant à l’installation des enfans pendant le jour, elle est demeurée la même que par le passé. Ils rôdent en commun, suivant leur nombre, dans un ou deux préaux couverts et bitumés, larges de six à sept pieds, longs de vingt ou trente, sous la surveillance d’un gardien qui se promène dans un étroit couloir, seule séparation d’avec le préau des adultes. C’est là qu’il faut les voir et les faire causer si l’on veut se rendre compte de leur véritable caractère, et non pas à la Petite-Roquette, où ils sont déjà un peu brisés et intimidés par la solitude. Chacun a son histoire, vraie ou fausse : « Moi j’ai été arrêté pour avoir vendu des roses, — moi parce que je revenais à onze heures du soir de chez ma grand’mère, — moi parce que j’ai cassé des œufs. » Comprenez mendicité, vagabondage, tentative de vol. Celui-ci est plus franc : « J’ai été arrêté pour vagabondage. » Pour un peu, il vous citerait l’article du code, et, si quelque camarade inexpérimenté vous donne des explications confuses sur sa situation légale, il le rectifiera en disant : « Celui-là, il ne sait pas, monsieur. Moi, j’ai déjà fait un mois. » Obtenir d’eux l’aveu du chiffre exact de leurs arrestations est cependant la grande difficulté, car ils espèrent toujours parvenir à le dissimuler. « Moi, je n’ai jamais été arrêté. — Et toi ? — Moi, je ne sais pas. — Et toi ? — Trois fois. — Ce n’est pas vrai, monsieur, interrompt un camarade, il nous a dit neuf fois, mais qu’il avouerait seulement trois. » On s’éloigne sans avoir pu leur adresser une parole sérieuse, découragé par ce cynisme qu’ils mettent en commun, et plaignant ceux d’entre eux qui cachent peut-être