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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/626

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de ces dormeurs étaient seulement de rudes travailleurs, qui s’étaient logés comme ils avaient pu, attendant mieux de la fortune. Le plus grand nombre semblaient des déclassés, qui avaient roulé, par malheur ou par inconduite, jusqu’à ce triste degré de misère, mais qui ne paraissaient point cependant abrutis par la débauche. Quelques-uns faisaient même avec une certaine bonne humeur les honneurs de leur taudis et plaisantaient sur les inconvéniens de leur gîte. « Moi, monsieur, je suis un philosophe, » me disait un ouvrier en m’ouvrant la porte d’un cabinet en planches dont il avait tapissé les parois avec de vieux journaux, et je sus seulement par le logeur que ce philosophe absorbait tous les jours la valeur d’un franc d’absinthe. Un autre me montrait avec orgueil l’esquisse d’un modèle qu’il venait de dessiner pour la statue de la république mise au concours par le conseil municipal. Beaucoup lisaient un journal dont l’achat représentait pour eux le quart ou même la moitié du prix de leur nuit. Le Rappel d’abord, la France ensuite, m’ont paru la lecture favorite de ces habitués du garni. J’ai fait l’une de ces visites la nuit du dimanche des Rameaux, et dans plus d’un bouge j’ai trouvé attachés au chevet du lit de gros paquets de buis, destinés à être vendus le matin à la porte des églises, où beaucoup sans doute n’ont jamais pénétré. Ce fut de bon cœur que le lendemain j’en achetai quelques rameaux, sachant mieux à quel excès de misères cette ressource d’un jour était destinée à porter remède.

Si la population des garnis présente donc-à tout prendre un aspect moins attristant à Paris qu’à Londres, il n’en est pas de même de l’aspect des garnis eux-mêmes. Au point de vue de l’hygiène et de la salubrité, aucun contrôle, sauf celui tout à fait insuffisant (je l’expliquerai tout à l’heure) de la commission des logemens insalubres, n’est exercé sur leur tenue intérieure. C’est au logeur à disposer ses lits comme il l’entend, en cherchant à ne pas rebuter ses cliens par des conditions excessives de malpropreté et d’inconfortable, et ce que j’ai vu porte à croire que ces cliens n’ont pas le moyen de se montrer bien difficiles. Les garnis les plus aristocratiques sont ceux qui ne se composent que de cabinets. Par là il faut entendre souvent une petite pièce sans jour et sans air, ne s’éclairant que par un châssis qui donne sur une cour intérieure, véritable puits, ou même sur un escalier et ne renfermant pour tout mobilier qu’un lit étroit qui n’en reçoit pas moins souvent deux personnes. L’habitation d’un grand nombre de ces cabinets serait tout à fait impossible le jour, et elle n’est tolérable la nuit que pour ceux qui viennent y dormir du lourd sommeil de la misère, après avoir travaillé ou rôdé sans interruption depuis le matin jusqu’au soir. La location ne s’en paie pas moins d’un prix élevé, 12, 15, 20, et