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quelquefois chercher au loin un climat plus clément ou des eaux bienfaisantes. Quant à voyager par plaisir, nul n’y pensait ; le touriste n’existait pas encore. Le grand roi lui-même, qui devait être pourtant l’homme le mieux servi de son royaume, ne mettait-il pas deux jours pour aller de Versailles à Fontainebleau ?

Sous les ministères de Chamillart et de Desmarets, les travaux publics furent sacrifiés pour subvenir aux besoins de guerres désastreuses. En revanche, la régence du duc d’Orléans fut féconde en projets de tous genres. Dès le début du règne de Louis XV, les ponts et chaussées sont confiés à un directeur-général, le marquis de Béringhen, premier écuyer du feu roi. Le rôle important que jouait ce personnage, membre de l’un des conseils du royaume, atteste l’intérêt qu’on attachait alors au bon état des routes. Le directeur-général, avec des fonctions sans doute mal définies, était l’intermédiaire entre le pouvoir central d’une part et de l’autre les intendans, les trésoriers, les ingénieurs, qui s’occupaient de la voirie dans les provinces. La centralisation, dont Colbert avait été l’initiateur, ne se manifestait encore que par des bienfaits ; elle propageait les bonnes méthodes techniques, elle introduisait l’économie dans l’emploi des deniers, la régularité dans les comptes de finances. Les ingénieurs reçurent alors une organisation hiérarchique, une vive impulsion fut donnée aux travaux, à l’entretien des chaussées et à la reconstruction des ponts. Les fonds accordés sur l’état du roi étant insuffisans, on prit l’habitude de lever dans chaque généralité des impositions spéciales aux grands chemins.

Au marquis de Béringhen succéda Joseph Dubois, frère du cardinal et l’un des secrétaires du cabinet du roi ; puis, par une de ces révolutions administratives qui sont fréquentes sous tous les régimes, la direction générale des ponts et chaussées fut supprimée. Un arrêt du conseil en date du 23 octobre 1736 la réunit à l’administration des finances. Mais bientôt Orry, contrôleur-général, entreprit d’étendre à tous les pays d’élections le principe du travail par corvées que les provinces frontières avaient adopté déjà. Ceci augmentait à tel point les attributions administratives des ponts et chaussées qu’il y eut nécessité d’en rendre la direction à un conseiller d’état qui n’eût pas en même temps d’autre occupation. Ce fut Daniel Trudaine qui l’obtint en 1743.

Les traditions de savoir et d’honnêteté que conservent avec scrupule les ingénieurs de notre temps sont un legs du passé ; ce corps d’ingénieurs est aujourd’hui ce que l’ont fait, il y a plus d’un siècle, deux hommes de bien, Trudaine et Perronet. Leur vie mérite d’être racontée avec quelques détails. Daniel Trudaine, fils d’un ancien prévôt des marchands de Paris, naquit en 1703. Intendant de la généralité de Riom, de 1730 à 173/ », il fut ensuite appelé au