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courant s’était formé d’un bout de l’Allemagne à l’autre, courant plus ou moins contenu par les circonstances extérieures, plus ou moins dissimulé par la conspiration de tous, mais grossi de jour en jour dans l’ombre, et qui, à travers maintes péripéties obscures, a conduit la Prusse et l’Allemagne d’Olmutz à Sadowa.

Or à ceux de nos hommes d’état qui, de 1850 à 1866, avaient suivi la marche de ce courant formidable, trois systèmes différens se présentaient : 1° dire à l’Allemagne : la France ne peut permettre l’établissement de l’unité allemande, c’est une question de vie et de mort ; 2° rester indifférent à l’établissement de cette unité ; 3° étudier sérieusement la situation, respecter le droit des peuples, ne pas prétendre interdire à l’Allemagne de faire ce que la France elle-même avait fait pendant la durée des siècles, mais en échange de cette politique loyale poser nettement les conditions de neutralité et se faire accorder les compensations nécessaires.

Le premier système, système inique et funeste, était celui de personnages politiques sur qui retombera la responsabilité la plus lourde, quand la vérité tout entière sera connue. Le second était celui de l’indifférence et de l’inertie. Le troisième était le vrai, le seul vrai, mais à la condition de ne pas être pratiqué à demi. Pour mener à bien une tâche si complexe, il fallait, comme on dit, avoir bon pied, bon œil, il fallait être attentif, vigilant, écouter un Drouyn de Lhuys, consulter un Thouvenel, ne pas chercher des aventures au-delà des mers quand se préparait à nos portes la plus grosse affaire du siècle, ramasser toutes les forces de la nation, et au lieu de paralyser l’épée de la France au Mexique, apparaître sur le Rhin comme un arbitre ami. L’Allemagne, impatiente depuis 1850 de rejeter l’Autriche hors de ses frontières, invoquait cet arbitre depuis bien des années ; elle cessa de s’inquiéter de lui quand elle le vit se prêter si étrangement au rôle de dupe.

Je regrette que M. Camille Rousset, d’ordinaire si exact, ait soulevé de pareilles questions sans s’être appliqué d’abord à pouvoir y répondre, ce qu’il eût été en mesure de faire aussi bien que personne. Ces dissentimens d’ailleurs, non plus que nos critiques de détail, n’enlèvent rien à la valeur intrinsèque de l’œuvre ; les unes comme les autres attestent par leur franchise la sincérité de nos éloges, et je m’empresse de me remettre entièrement d’accord avec M. Camille Rousset, en répétant ces justes paroles de sa dédicace au général Trochu : — « Le sujet avait toute sorte de raisons pour me captiver. C’était une grande guerre, singulièrement originale. Bien loin d’infliger quelque humiliation au vaincu, elle a été glorieuse pour lui presque autant que pour le vainqueur, hautement honorable pour tous ceux qui y ont pris part. Elle a mis en