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dernières années, n’est-il pas équitable de rendre aux premiers une large portion de la gloire primitivement recueillie ?

Essayons maintenant, en ce qui touche Lionne, de démêler son action directe, de surprendre son intervention personnelle, de dégager la part qui lui revient en propre dans l’œuvre accomplie. Nul aussi bien que lui n’eût pu le faire, et, pour sa renommée, il est à regretter qu’il n’ait pas comme tant d’autres, comme ses deux successeurs au ministère des affaires extérieures, Pomponne et Torcy, laissé des Mémoires. Mais « l’envie de parler de nous ou de faire voir nos défauts du côté que nous voulons bien les montrer fait une grande partie de notre sincérité, » a dit La Rochefoucauld, qui a écrit des Mémoires et qui n’a pas songé qu’on pourrait lui appliquer cette maxime. Lionne n’a pas tenu à « parler de lui, » et, comme ses actes se défendent eux-mêmes, comme il n’y a rien eu d’équivoque dans sa conduite, ni de suspect dans ses mobiles, il n’a pas cru devoir, comme le cardinal de Retz, se présenter lui-même à l’histoire et s’y faire sa place. Cherchons-le donc ailleurs, et sans l’avoir pour guide. Nous n’aurons pas à craindre ainsi qu’il veuille grandir son rôle. Nous n’aurons pas non plus à nous défier, comme pour Retz, de cette sincérité apparente si perfide parce qu’elle dissimule adroitement l’intention de nous abuser. Les documens en effet dans lesquels nous allons nous efforcer de retrouver Lionne, il les a d’autant moins écrits pour la postérité que l’on croyait de son temps qu’ils seraient à jamais perdus pour elle et qu’ils resteraient toujours ensevelis dans des archives inaccessibles. Or quiconque a lu beaucoup de Mémoires est convaincu que la postérité doit accepter de confiance surtout les témoignages qui n’ont pas été écrits pour elle.


II.

S’il est vrai que la succession d’Espagne soit le pivot sur lequel a tourné tout le règne de Louis XIV et qu’elle ait été l’objet principal de sa politique durant soixante années, il n’est pas moins certain que c’est le mariage de l’infante d’Espagne avec le roi de France qui a permis à celui-ci d’élever des prétentions d’abord sur une partie, puis sur la totalité de la monarchie espagnole. La première pensée de cette union appartient à Mazarin, qui la projeta dès 1646, c’est-à-dire treize ans avant qu’elle ait été accomplie. C’est en 1656 seulement que Mazarin envoya Lionne en Espagne pour entamer une négociation en vue du mariage.

Initié aux grandes affaires par son oncle Servien et par Richelieu, confident intime de Mazarin, ayant réussi à traverser la difficile période de la fronde sans trop se compromettre d’aucun côté et