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et différentes de celles des autres hommes[1]. Mais il était trop porté à écouter la voix de ses passions, et alors tout, même le sentiment du grand, disparaissait à ses yeux. Il a fini par une mésalliance et il aurait commencé par là si Mazarin n’avait pas puisé dans son patriotisme le noble courage de s’opposer énergiquement au mariage du roi de France avec une Mancini. Assurément Louis XIV, doué d’un sens droit et d’un jugement ferme, apprécia mieux que personne les services éminens que lui rendit Colbert en restaurant les finances, en fondant les manufactures, en protégeant l’esprit dans ses plus illustres représentans. Mais pourquoi a-t-il cessé d’apprécier ces services et l’a-t-il laissé mourir dans la disgrâce, lorsque l’ascendant de Louvois s’est peu à peu substitué à l’heureuse influence de Colbert? Assurément aussi Louis XIV s’est mis tout entier dans la belle campagne diplomatique qui inaugure si glorieusement son règne. Mais comment pourrions-nous lui en laisser à lui seul le mérite, comment pourrions-nous contester la grande part qui en revient à Lionne, lorsque nous voyons, à la mort de ce ministre, le roi habile devenir un roi passionné, passer brusquement d’entreprises modérées et sages à des actes exagérés de vengeance et commencer une série de fautes qui devaient exposer l’état aux plus graves périls? Si le merveilleux esprit d’habileté qui a inspiré la première période du règne émane tout entier de Louis XIV, pourquoi cet esprit n’a-t-il pas survécu à Lionne? Sont-ce des événemens imprévus et qu’on ne saurait imputer au monarque qui ont porté plus tard un si rude échec à sa politique? Non, c’est lui seul qui, suivant les inspirations de la passion ou subissant la néfaste influence d’une conseillère au génie étroit, a détruit l’industrie nationale par la révocation de l’édit de Nantes et coalisé l’Europe contre la France par un violent abus de la force en Hollande. Les désastres de la fin du règne, pendant lesquels Louis XIV restera personnellement très grand par la résignation touchante et de magnifiques élans de cœur, ces désastres résultent de ce qu’il a subi sans cesse des directions, bien que très jaloux de son pouvoir, et c’est la diversité même de ces directions qui a donné des aspects si différens à son règne. Celui-ci présente de l’unité seulement si l’on considère le caractère personnel du monarque, qui est resté grand jusqu’à son lit de mort. Mais il est incontestable que l’histoire des deux parties du règne est en réalité l’histoire, d’une part de l’heureuse influence exercée par Lionne et Colbert, d’autre part de l’empire déguisé, mais réel, pris sur le roi par Louvois, Mme de Maintenon et le confesseur. Si nous faisons participer ceux-ci aux lourdes responsabilités encourues pendant les trente

  1. Mémoires de Louis XIV, t. Ier, p. 36 et 37.