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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/791

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n’est donc pas inutile de nous y arrêter. Nous éviterons avec soin toutes comparaisons avec des temps rapprochés ; elles seraient trop affligeantes. En nous réfugiant dans le passé, en montrant comment alors on négociait avec l’Allemagne, nous tâcherons d’oublier l’époque récente où une politique au jour le jour, sans esprit de suite, sans lendemain, dépourvue de prévoyance et d’habileté, impuissante non-seulement à préparer, mais à attendre les événemens, les a précipités avec une telle incurie qu’ils ont été une catastrophe.


III.

L’empire d’Allemagne était alors aussi divisé et morcelé que la France était déjà homogène et compacte. Le chef de l’empire avait vu depuis plus d’un siècle de fortes barrières s’élever contre ses empiétemens, et ses efforts pour faire prévaloir son autorité souveraine avaient été superflus. C’est en vain que Charles-Quint pendant la guerre de Saxe avait essayé de dompter la résistance protestante, en vain aussi que Ferdinand II et Ferdinand III avaient essayé de combattre l’indépendance des petits états soutenus par la Suède et la France ; les traités de Westphalie avaient achevé de consacrer cette indépendance, et proclamé les droits[1] qui rendaient chaque état à peu près isolé de l’empire. Ce système politique, qui consistait à s’appuyer contre un adversaire, empereur d’Allemagne et chef du parti catholique en Europe, sur l’alliance des princes allemands et du parti réformé, avait été entrevu en France par François Ier, inauguré par Henri II, appliqué par Henri IV trop tôt interrompu dans son œuvre, et il avait reçu sa complète exécution sous Louis XIII et Richelieu. On croyait alors en France qu’il était utile à nos intérêts de suspendre la marche de l’Allemagne vers l’unité, de relâcher le lien fédéral, de maintenir divisés l’empereur et l’empire, de constituer leur isolement, de sanctionner entre eux la défiance. Le morcellement atteignait ses plus extrêmes limites. L’Allemagne comprenait trois cent trente-cinq souverainetés dont cent cinquante états séculiers possédés par des électeurs, des ducs, des landgraves, des comtes, des burgraves, cent vingt-trois états ecclésiastiques gouvernés par des électeurs, des archevêques, des évêques, des abbés, des chefs d’ordres militaires, des prieurs, des abbesses, et soixante-deux villes impériales se régissant en république. À cette diversité de formes et d’importance se joignaient la différence des cultes et l’opposition des intérêts. D’autre part, afin de mettre obstacle aux empiétemens

  1. Articles 38, 39, 40 et 41 du traité de Munster et 8 du traité d’Osnabruck. On sait que ces deux traités sont appelés du seul nom de traités de Westphalie.