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À cette heure, la situation de Jourde était des plus difficiles ; le comité central tentait de reprendre le pouvoir exercé par la commune, ou tout au moins de s’y associer ; Rossel, alors délégué à la guerre, cherchant à opposer tous les partis les uns aux autres, afin de mieux les annuler et de s’élever sur leur ruine, avait, par son ambition maladroite et désordonnée, créé cet état de choses qui formait un véritable chaos, car chacun se donnait des attributions et tirait des mandats sur la délégation des finances. Jourde n’en pouvait mais, faisait des efforts très sincères pour ménager les ressources de la commune, et disait tristement à l’Hôtel de Ville : « Qui est-ce qui gouverne ? Est-ce la commune, est-ce le comité central ? J’ai besoin de contrôle pour ne dépenser que 800,000 francs par jour. » Cette confusion retombait jusqu’à un certain point sur la Banque, car c’est vers elle qu’on levait des mains suppliantes ou menaçantes toutes les fois que les mandats du comité de salut public, de la commune, du comité central, des délégués aux ministères et aux administrations centrales épuisaient les caisses que Jourde avait tant de peine à ne pas laisser complètement vides.

Pendant que les partis qui divisaient la commune semblaient prendre position pour s’attaquer et se combattre, Paris, semblable à une fille outragée par des soudards, était livré aux avanies. Sous prétexte d’arrêter les réfractaires et les agens de Versailles, les fédérés saisissaient les passans inoffensifs et les poussaient dans leurs geôles. Le caissier principal de la Banque de France, M. Mignot, en fit l’épreuve, et se tira d’une mauvaise aventure avec un bonheur que d’autres n’ont pas eu. Le 9 mai, dans la soirée, il passait sur le boulevard, à la hauteur du nouvel Opéra, et s’était mêlé à un groupe d’une vingtaine d’individus qui venait de protéger une femme maltraitée par un garde national ivre, lorsqu’une forte compagnie de marins de la commune, débuchant au pas de course de la rue de la paix, se sépara en deux escouades, entoura les promeneurs et les conduisit au quartier-général de la place Vendôme. Personne ne résista ; M. Mignot ne prit d’autres précautions que de se placer le dernier. Pendant que ses compagnons de captivité étaient interrogés, il trouva ingénieusement le moyen de se débarrasser de quelques lettres peu sympathiques à la commune qu’il avait en portefeuille. Lorsque vint son tour de comparaître devant le chef de poste, il se trouva en face d’un jeune homme vêtu en officier de marine, passablement chamarré, et qui ricanait en voyant la mine piteuse des prisonniers que l’on envoyait dans une des caves de l’hôtel, convertie en violon. M. Mignot déclina ses noms et qualités. — L’officier s’écria : — Caissier principal de la Banque ! Pourquoi diable vous a-t-on arrêté ? — Je n’en sais rien, — Ni moi non plus, — M. Mignot se mit à rire. L’officier reprit : —