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montre, de la main droite, il brandit sa longue écharpe rouge à crépines d’or, qu’il ne portait jamais, puis il vociféra de façon à être entendu par tout le monde : « Écoutez bien : si dans cinq minutes vous n’avez pas fait retirer vos troupes, je vous brûle la cervelle, » et joignant le geste à la parole, il dirigea violemment son écharpe vers le visage du commandant. Moins de deux minutes après, les Vengeurs de Flourens, les garibaldiens, le 208e bataillon partaient au pas accéléré ; Charles Beslay, tenant toujours en main sa montre et son écharpe, marchait à côté du commandant qu’il vitupérait, et le conduisit ainsi jusqu’à l’entrée de la rue Coquillière. Lorsque le dernier soldat eut défilé, il revint à la Banque. Il était encore fort ému et disait : « Leur conduite est odieuse ; je vais envoyer ma démission. » M. Marsaud fit immédiatement rouvrir les portes, et la Banque reprit son service.

Cette algarade, qui avait mis tout le quartier en rumeur, avait pris fin à midi et demi. Le même jour, vers trois heures, François lourde vint, d’un air assez embarrassé, demander que le poste qui forme l’angle de la rue de La Vrillière et de la rue Radziwill, et qui jusqu’alors avait été occupé par un détachement du bataillon de la Banque, fût placé dorénavant sous les ordres de l’état-major de la place, comme tous les autres postes de Paris ; il veillerait lui-même à ce qu’on ne le fît garder que par des fédérés de choix pris parmi les meilleurs bataillons. Jourde faisait comprendre que c’était une satisfaction qu’on devait à l’opinion publique, qui s’inquiétait et s’obstinait à voir dans la Banque une sorte de forteresse réactionnaire que l’on disait puissamment armée et systématiquement hostile à la commune. Sans être las de la lutte, sans cesser d’être résolu à se défendre pied à pied, on eût peut-être cédé aux exigences formulées par lourde, car la conservation d’un poste extérieur ne semblait pas très importante, si Charles Beslay ne s’y était opposé avec violence. Il reprit son argumentation favorite : tout ce qui touche, tout ce qui effleure le crédit public est de nature à altérer la confiance et doit être évité ; la Banque se conforme strictement au décret du 2 septembre 1792, qu’exige-t-on de plus ? Le poste que l’on veut confier à des fédérés est partie intégrante de l’hôtel de La Vrillière, comme tel, il relève de la Banque, qui l’occupe et fait bien. Jourde voulut insister ; Charles Beslay répondit : « Je ne veux pas. » Cette fois encore un péril fut éloigné.

Charles Beslay n’avait point obéi à un simple mouvement de mauvaise humeur en menaçant de donner sa démission. Il venait de la libeller et de l’adresser au comité de salut public. Elle est basée sur deux motifs sérieux : d’al)ord l’investissement de la Banque, qu’il considère « comme une désapprobation de sa conduite et de ses actes, et comme une mesure essentiellement préjudiciable