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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

son lit avec une ardeur toute juvénile, déjà furieux et disant : « Nous allons voir ! » Il prit à peine le temps de se vêtir, monta en voiture, et se fit rapidement conduire rue de La Vrillière. Il reconnut qu’on ne l’avait pas trompé, que la Banque en effet était cernée par des troupes nombreuses qui, l’arme au pied, semblaient attendre l’ordre d’agir. Dès qu’il fut entré dans la Banque, on s’aperçut qu’il était très irrité ; l’acte que l’on tentait de commettre sans l’avoir averti était un fait d’usurpation contre son pouvoir, c’était en outre une sorte d’insulte qu’il était décidé à ne point subir ; on le vit à ses premiers mots : « Qui est-ce qui a apporté le mandat de perquisition ? — Un commissaire de police nommé Lemoussu. — Lemoussu ! un galopin ; il est du Morbihan, je le connais. Est-ce qu’un Breton devrait se charger d’une telle besogne ! » — Lorsque Lemoussu, exact au rendez-vous fixé, se présenta, il fut fort mal accueilli par Charles Beslay : « Pourquoi tous ces soldats ? pas un d’eux ne mettra le pied à la Banque, sachez-le bien ! À quoi bon ce déploiement de forces contre un établissement financier qui vous empêche de crever de faim ! À quoi servent toutes ces billevesées, sinon à inquiéter le crédit et à ébranler toute confiance ; dites à vos gardes nationaux de s’en aller. » Lemoussu, d’une voix très humble, dit qu’il était le mandataire de la commune ; Charles Beslay se récria : « La commune, c’est moi ; c’est moi, moi seul, entendez-vous, qui la représente à la Banque, où elle m’a spécialement délégué ; allez-vous-en, jeune homme, c’est ce que vous avez de mieux à faire ! » Lemoussu parla du dépôt d’armes qui avait été dénoncé. M. Marsaud s’interposa : « Vous pouvez, monsieur, vérifier par vous-même que la Banque ne recèle pas une seule arme ; je vous convie à visiter toute la maison avec moi. » Lemoussu comprit que sa mission avortait ; parcourir la Banque seul sans pouvoir y introduire les fédérés qu’on y aurait laissés lui paraissait une mince distraction ; il refusa disant qu’il s’en rapportait à la parole du citoyen secrétaire-général. « Dépêchons, reprit Beslay, que ces lenteurs et sa propre souffrance rendaient singulièrement nerveux ; allez faire votre rapport au comité de salut public, et remmenez tous vos hommes ; non, je veux les renvoyer moi-même. » La colère l’avait gagné ; il était blême, m’a dit un des témoins oculaires, ses lèvres tremblaient, il écumait de fureur. Il fit ouvrir la grande porte, et escorté de Lemoussu, qui faisait une mine assez piteuse, suivi des chefs de service de la Banque, il s’arrêta sur le seuil : « Au nom de la commune, faites venir le commandant. » Le commandant, vêtu d’écarlate, arriva en caracolant. Il était ivre, oscillait sur son cheval et tomba. Beslay cria : « Les voilà, vos officiers, tous soûls comme celui-là ! » Le commandant s’était remis en selle, Beslay marcha vers lui ; de la main gauche, il prit sa