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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/860

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REVUE DES DEUX MONDES.

une nouvelle sommation de Jourde ; elle était plus vive encore que les autres ; la menace n’y était pas déguisée, elle se formulait nettement et ne laissait place à aucun doute. On voit cependant qu’une sorte de scrupule a retenu le délégué aux finances ; ce n’est pas à M. de Plœuc, ni à M. Marsaud, ni à Charles Beslay qu’il écrit, comme il le faisait d’habitude, c’est à son caissier Durand, à un subordonné auquel il peut tout dire confidentiellement, à la condition toutefois que celui-ci répétera tout haut la confidence ; il n’eut garde d’y manquer. Cette lettre, qui fut transmise à la Banque dans la soirée du 20 mai, pendant que l’on procédait à l’inhumation des valeurs, est ainsi conçue : « Citoyen Durand, il est indispensable que la Banque nous avance cette somme de 300,000 francs sur le million que du reste j’avais demandé au citoyen Beslay. Faites donc le nécessaire auprès de la Banque pour lui faire comprendre quel intérêt il y a à obtenir cette somme. Sans cela !.. JOURDE. » Ce fut le caissier lui-même, le citoyen Durand, qui apporta la lettre ; comme on lui faisait observer que les demandes de la commune se multipliaient dans des proportions excessives, il répondit : — Le comité de salut public, la commune, le comité central et tous leurs représentans tirent des mandats sur nous ; si nous refusons de payer, on pillera la délégation des finances et après on pillera la Banque ; le plus sage est de payer, car nous ne savons plus où donner de la tête. » Le conseil des régens partagea l’opinion du caissier Durand et estima aussi que le plus sage était de payer. Le marquis de Plœuc fut donc autorisé à satisfaire Jourde et à éviter les suites de son : « Sans cela ! »

Lorsque le conseil se sépara, il était un peu plus de trois heures ; à ce moment même, les premiers soldats de l’armée française allaient pénétrer dans Paris, grâce à un incident connu, mais dont il n’est point inutile de faire ressortir les principaux détails. M. Ducatel, piqueur des ponts et chaussées, alors âgé de quarante et un ans, ancien soldat, homme énergique, ne détestant pas les aventures et fort brave, habitait près de la porte d’Auteuil, dans une maison que les obus de Montretout avaient souvent visitée. Sans être initié aux négociations que George Veysset menait avec Dombrowski[1], il avait remarqué une grande incohérence dans l’attitude des fédérés qui gardaient les remparts ; les postes étaient parfois abandonnés pendant un jour entier, puis ils étaient réoccupés par des forces insuffisantes, qui bien souvent s’en allaient sans être remplacées. M. Ducatel se rendit à Versailles, muni d’un laisser-passer qui lui permit de prendre le chemin de fer de Saint-Denis, vit plusieurs personnes, donna des renseignemens utiles,

  1. Voir dans la Revue du 1er juin 1871 : le Dépôt près la préfecture de police.